À première vue, les deux termes semblent tout à fait interchangeables. C’est en remontant le fil de l’histoire du hip-hop que l’on découvre ce qui sépare ces deux mots, une histoire où le langage et l’industrie musicale évoluent de manière synchrone.
Avant toute chose, petit rappel étymologique : MC peut désigner Master of Ceremony (maître de cérémonie), Mic Checker (testeur de micro) ou Mover of Crowds (agitateur de foule). Et c’est logique quand on repense au rôle qu’avait le MC en premier lieu.
Lors des blocks party du New York de la fin des années 70, le MC se devait de galvaniser la foule, de chauffer les b-boys et b-girls et de poser sur les rythmes amenés par le disc-jockey. Sur les flyers que l’on trouvait collé sur les murs de la ville, les MCs sont souvent mentionnés, parfois accompagnés d’une accroche comme “with the voice of”.
Mais alors, à partir de quand se met-on à parler de rappeur ? Comme on l’apprend dans un article de David Diallo (conférencier à l’université de Bordeaux, spécialiste en civilisation américaine), publié dans le dernier numéro de Volume!, c’est la sortie d’un morceau en 1979 qui va changer le milieu du rap à tout jamais. Et je suis sûr que vous le connaissez.
I said-a hip, hop, the hippie…
Oui, le Sugarhill Gang et son “Rapper’s Delight” déclenche une véritable tempête médiatique à sa sortie, le morceau rentre dans le Billboard 100 (en 36e position), une première pour un morceau de rap. C’est aussi un succès commercial et populaire, difficile de rentrer dans le campus d’une fac américaine dans les années 80 sans entendre la mélodie. Ce morceau devient l’un des morceaux les plus marquants de la période, qui rentre presque immédiatement dans la culture populaire — Richard Linklater, des années plus tard, l’utilisera dans une scène de son film centré sur les eighties “Everybody Wants Some”.
Très vite, le terme “rappeur” utilisé dans le titre supplante complètement celui de MC. Chez les MCs, les originaux, on grince des dents. Déjà parce que les Sugarhill Gang ne font pas partie DU TOUT de la culture hip-hop à ce moment-là. Le reste de la sphère les considère même comme des usurpateurs. De plus, après ce morceau, si on veut avoir une chance d’être signé par un label ou d’apparaître dans un reportage télévisé sur cette culture, il faut se présenter comme un “rappeur” et non plus comme un “MC”.
Il y a donc un intérêt financier et commercial à utiliser le terme rappeur, même si l’on se définit, à l’origine, comme un MC. Plus d’opportunité, plus de visibilité… plus de contrats signés.
On note d’ailleurs que ce penchant commercial, qui fait du rappeur un “produit”, est un terrain qui favorise la compétition. Là où le MC doit communiquer avec la foule pour que la soirée ait l’ambiance la plus folle possible, le rappeur doit prouver qu’il est le meilleur, pour devenir celui qu’on va interviewer, celui qui représente son quartier, celui qui vend des disques, et pas un autre.
KRS One, le MC New-Yorkais dira quelques années plus tard : “les MCs sont des représentants de la culture hip-hop, les rappeurs sont des représentants des intérêts corporate”.
MC, rappeur, dualité
Dans certains cas, un individu peut incarner les deux faces de cette pièce, comme le précise au bout du fil David Diallo, auteur de l’article cité en haut de page. On parlait alors de Kendrick Lamar, le rappeur de Compton derrière les albums Damn. et To Pimp a Butterfly, et se posait la question Kendrick : MC ou rappeur ?
“Si on regarde sa discographie, on voit qu’il y a des morceaux qui sont destinés au plus grand public. (…) Si on prend un morceau comme « Humble. » par exemple, on va dans la construction, dans les paroles, avec des paroles faciles à retenir qui reviennent en boucle. On n’est pas dans la même optique esthétique que dans son album To Pimp a Butterfly, où il y a du free jazz, des parties de spoken word, des schémas de rimes qui sont bien plus complexes, avec une écriture plus sophistiquée.
Donc clairement, dans la construction, on pourrait dire qu’il y a une distinction entre « là, il est plus MC, là, il est plus rappeur ». Mais c’est toujours difficile dans la musique de mettre une étiquette à un artiste puisque, un peu comme un acteur, ils vont endosser des personnalités différentes suivant les chansons, et avec chaque personnalité viendra un environnement sonore ou une manière de rapper qui feront qu’on sera plus proche de ce que l’on appelle et considère un MC ou un rappeur.”
C’est dans la nuance que tout se joue, la différence est fine et c’est normal car “les deux termes MC/rappeur renvoient à la même pratique qu’on appelle le rap ou « rapping », à savoir parler ou chantonner en rimes et en rythme sur une base rythmique, soit avec un instrumental avec des platines et des boucles, ou parfois avec un groupe derrière. En tout cas, c’est cette pratique de poser sur un beat. C’est la même activité, ce qu’on appelle rapper.”
Au final, c’est peut-être la formule de William Jelani Cobb qui résume le mieux le contentieux : “Tous les MCs rappent, mais tous les rappeurs ne sont pas des MCs.”
D’ailleurs puisqu’on parle de Sugarhill Gang, saviez-vous que si on la chante suffisamment vite, ça devient Las Ketchup ? Non ? Thierry Paret vous en parle dans A ce qui Paret.
Sources :
- Volume! (19) – Every Mc raps but not every rapper is an MC (David Diallo)
- William Jelani Cobb, To the Break of Dawn : A Freestyle on the Hip hop Aesthetic
- Paul Edwards, Concise Guide to Hip Hop Music
Un texte issu de C’est Bola vie, la chronique hebdomadaire (lundi au vendredi, 8h45) de David Bola dans Un Nova jour se lève.