Le morceau culte de Rone n’aurait jamais dû voir le jour. Avec Alain Damasio, ils nous racontent.
La semaine passée, Rone et Alain Damasio ont interprété dans Plus Près De Toi, et avec une fougue complètement dingue, le morceau « Bora Vocal », le premier « véritable » titre du producteur français, qui aurait dû ne jamais voir le jour. C’est l’histoire de ce morceau culte que Rone et Damasio nous ont raconté, une fois le live terminé, et le calme revenu.
En 2009, Erwan Castex, qui a étudié le cinéma pendant quelques années, commence également à se mettre sérieusement à la musique électronique. Dans son coin, il pose les bases d’une electronica, teintée de house et de techno, qui fera bientôt lever les foules, et qui le fera connaître sous le nom de Rone.
Via des amis, il fait alors la connaissance d’Alain Damasio, l’écrivain qui a connu quelques années auparavant un succès foudroyant, auprès de la communauté SF avec la sortie d’un roman d’anticipation ample, dystopie orwelienne qui envisageait une société de contrôle signée par des modèles pseudo démocratiques (les pensées inspirantes sont celles de Foucault et de Deleuze), et dans laquelle ce n’est plus directement l’État, mais bien les citoyens, qui se contrôlent les uns les autres. Ce livre, c’est La Zone du Dehors, et c’est parce qu’il envisage d’en faire une version animée qu’il se met à travailler avec Erwan. Le projet mobilisera le trio (Ludovic Duprez fait également partie de l’aventure) pendant deux bonnes années, et, s’il n’aboutira jamais réellement, aura le mérite de tisser un lien réel entre le producteur de musique électronique et l’écrivain de science-fiction.
Un été, Alain Damasio doit s’isoler en Corse afin d’écrire son nouveau roman, La Horde du Contrevent. L’auteur a alors besoin « d’entendre et sa voix », et se lance sur cassettes audio dans une « auto-invective » particulièrement inspirée et vigoureuse. Il s’enregistre initialement pour lui, comme une sorte de carnet intime sonore. Mais beaucoup d’autres l’entendront bientôt. En effet, Rone récupère, via une amie commune, les fameuses cassettes et en sample un extrait sans qu’au départ Alain Damasio ne le sache. « Bora Vocal », c’est l’histoire d’un carnet intime volé par Rone à Damasio !
Y’a pas de secret, y’a une vérité
« Y’a pas de secret, quoi / Y’a pas de secret ! / Y’a une vérité… simple, sobre… crue, quoi. Un truc… : Alain, « La Horde du Contrevent », tu la réussiras –uniquement, quoi– uniquement si tu t’isoles. Si tu t’isoles, quoi. Tu comprends ce que ca veut dire « isoles » ? Isola, l’île quoi / Tu crées ton île, et tu l’évaste au maximum, quoi. Il faut que les gens soient extrêmement loin de toi, mais loin, parce que ton univers sera vaste, quoi, sera immense, sera énorme, sera énorme univers, quoi. Énorme puissance d’univers, quoi… »
Ce texte, ce sera la base de « Bora Vocal », le premier « véritable » morceau de Rone, un texte qu’il accompagne d’une nappe éthérée et progressive, et où la voix d’Alain Damasio est mise au centre du propos. Plus tard, le titre sortira sur le label InFiné, en single puis sur l’album Spanish Breakfast, et lancera la carrière d’un artiste qui fait désormais partie des valeurs sûres de la scène électronique française, et qui avait sorti, l’an dernier, son quatrième album studio, Mirapolis. Quelques mois plus tôt, à l’occasion d’un concert culte à la Philharmonie, il avait également eu l’occasion de jouer le morceau en compagnie d’Alain Damasio, qui posait pour la première fois « pour de vrai » aux côtés d’Erwan, 10 ans après la sortie du morceau. Une performance remarquable, que le duo a reproduit (et revisitée !) la semaine passée dans le Café Nova, pour un live très matinal. Moment grandiose, moment d’apothéose.
Images : (c) Nicolas Lartigue