Fera-t-on un jour le tour de David Jones ? Ou plutôt, de David Bowie, cet alias tranchant (celui d’un couteau, le bowie knife, qui servit à tuer Dracula) qui chapeauta toutes ses incarnations, laquelle nous auront tenu en haleine, un demi-siècle durant ? C’est à douter. Presque sept ans après la disparition du Britannique – une disparition sur laquelle il avait tenu, ultime noblesse, à garder le contrôle de la mise en scène, en publiant son épitaphe musicale, le funèbre Black Star – c’est en film que l’on renoue avec l’icône pop, le caméléon british, véritable Homme qui venait d’ailleurs (d’après le titre, qui lui va à merveille, d’un long-métrage de Nicholas Roeg dans lequel Bowie tient le rôle principal).
Documentaire réalisé par le cinéaste californien Brett Morgen, qui s’était déjà consacré il y a quelques années à Kurt Cobain (Montage of Heck, c’était lui), Moonage Daydream ne fait pas qu’emprunter à la diable une référence et quelques éclats de Bowie période Ziggy Stardust. Se plongeant dans une considérable quantité d’archives, de documents, d’interviews, de films et de photos, tantôt archi-fameux, cristallisés dans la mémoire collective, tantôt rarissimes voire jamais dévoilés à ce jour, Moonage Daydream – dévoilé en avant-première au dernier Festival de Cannes – recompose une certaine idée faite artiste de la révolution permanente, irréductible, insaisissable, kaléidoscopique, catalysant les avant-gardes pour les synthétiser et les propulser sous les feux des projecteurs – faire découvrir au monde du nouveau. « J’utilise le miroir à diffraction excentrique de mon art pour renvoyer à cette société mutante les reflets que j’en capte », détaillait-il à Libé en 1997.
Des défrichages, des réverbérations et des recalibrages de méridiens qui ont livré leur tombereau d’albums grandioses, sous des persona diverses : androgyne glam, alien messianique, popeux rétro, aristocrate paranoïaque égaré entre deux trains, exilé berlinois, Pierrot lunaire au goût de cendre, golden boy peroxydé, pionnier du Web, détective jazz-cyberpunk, etc. Une aventure artistique foisonnante, où le style est une question capitale ; une aventure monumentale dont on connaît bien sûr nombre de pièces sauf qu’ici, Moonage Daydream nous en fait une contre-visite par les coulisses, voix over de l’intéressé himself à la clé, au gré d’images ébouriffantes, époussetées, vivifiées, remasterisées, qui semblent avoir été captées la semaine dernière tant leur netteté étonne.
On ne les voit donc qu’à peine passer, ces deux heures vingt où s’anime, pétulant, fascinant, énigmatique, le Bowie 1972, le Bowie 1976, le Bowie 1978, 80, 83, 95, 2011 and what so ever, sur l’inépuisable continuum pop qu’a habité ce Protée dont le spectre plane encore au-dessus des jeunes générations, pour leur souffler une folie, une inspiration, une audace à tenter.
De quoi trouver matière à émerveillement, sinon à influence, sur les écrans du Cinéma Utopia ? Oui, très vraisemblablement. Et Il y en a peu qui n’y gagneraient pas à en prendre de la graine.