Une richesse musical incroyable et trop injustement méconnue.
Il y a de cela quelques mois nous vous racontions la terrible épopée de la musique somalienne.
Le patrimoine des musiques d’Afrique de l’Est est d’une richesse infinie et il est presque insensé mais du coup nécessaire de voir qu’aujourd’hui beaucoup de collectionneurs, de diggers et de passionnés du monde entier cherche à mettre en lumière ces trésors. En effet très rares sont les musiciens comme Abdel El Aziz Al Mubarak qui ont pu connaître la chance d’effectuer une tournée internationale jusqu’aux planches de Londres ou de Tokyo.
Il est très intéressant de noter que bien souvent les musiciens éthiopiens ou somaliens se réfèrent aux grands noms des poètes et compositeurs soudanais. Notamment des stars indépassables que sont Mohamed Wardi (un musicien sur lequel les femmes jetaient leurs plus beaux bijoux en signe d’admiration) et Saied Khalifa, dont l’aura importante les faisaient se produire à Mogadiscio, Addis Abeba jusqu’au Caire et à Tripoli de manière régulière et devant des salles combles.
La musique soudanaise est donc admirée et respectée dans toute la région, de la Mauritanie au Sahara et au Sahel.
Ce sont souvent des poèmes soudanais qui sont adaptés en musique et qui deviennent des standards en fonctions de leurs arrangements sonores mais aussi dans leur performance avec un style d’exécution qui leur est propre et est inimitable.
Ce manque de reconnaissance vient peut-être de la difficulté à définir la polymorphie de cette musique qui n’est que le miroir de celle de cette région dont la diversité est absolue : au-delà des Arabes , des Nubiens, des Fours, des Bejas et des Noubas qui y vivent ensemble, des dizaines d’idiomes s’y mêlent faisant notamment de Khartoum une ville plurielle comme rarement ailleurs.
C’est parfois la musique qui est le meilleur miroir de cette pluralité. On retrouve ainsi une grande variété de registres de musique dans cette région.
La tribu Shaigiya, du nord du Soudan a sa propre musique qui cohabite avec la musique nubienne. A l’ouest on entend déjà le Fulani c’est à dire la musique Peule indissociable de la Mauritanie. Le sud aime les sons plus proche du Soukous, ce son de l’ancien Zaïre qui même Rumba et rythme kwasa kwasa. L’ancienne capitale était quant à elle ville de jazz. Khartoum est un terrain de musique orchestrale de beauté rare dans les années 70’s où l’on peut entendre la prédominance du violon et de l’accordéon. Enfin la musique des années 80 et 90 devient plus synthétique portée par les nouveaux instruments. Mais c’est sans doute la période précédente qui marque la singularité de la musique soudanaise.
Le Soudan fut pendant un temps l’un des plus vastes pays d’Afrique et son histoire fait que politique et culture sont indissociables. La région a connu des occupations Ottomanes, Egyptienne, et bien sûr Britannique qui ont toutes eu un impact sur la musique. De même la géographie du Soudan, avec l’hyper-concentration des pouvoirs politiques à Khartoum au détriment du reste du territoire engendre des disparités qui se retrouvent dans la musique. L’histoire faites de troubles et d’alternances de périodes fastes et sombre enfin ont mené à des variétés de musique et de registres. Que la musique soit brimée par des décisions d’austérité religieuse (censure, et même quelques autodafés) ou quand les périodes heureuses amenaient à un rayonnement de grande ampleur à travers la région et au-delà.
Pourtant il existe encore une profonde méconnaissance de cet héritage musical qui n’est pas reconnu à sa juste valeur. Notamment du fait que dans les années 80, Hassan Al Turabi et son régime fondé sur l’autorité religieuse ont dispersé les disques dont l’histoire est donc aujourd’hui compliqué à retracer. Depuis 40 ans il convient de mettre en avant ce patrimoine et de corriger cette injustice de l’histoire de la musique.
C’est ainsi que les équipes d’Ostinato ont principalement trouvé de la musique soudanaise dans les pays frontaliers au Soudan, Egypte, Ethiopie ou encore la Somalie. Ce qui témoigne tout de même de l’attrait des pays voisins pour ce bassin musical.
Une compilation est à prévoir dans l’année de la part du label. Mais en attendant des versions remasterisées, un mix permet d’imaginer ces contrées et cette période musicale insensée. Nous vous tiendrons au courant de la sortie de la compilation.