La chronique de Jean Rouzaud.
Quand j’ai rencontré Nick Toshes, il m’a dit que sa réputation de bel italien de New York, branché musique, mafia et vieux secrets, omettait qu’en fait il était d’origine albanaise (pays de mafia aussi, il en a fait un livre). Et qu’il aimait les opiacés, mais ne s’accordait plus de « prise » qu’au jour de l’an, santé oblige…J’étais touché de sa franchise et d’accord sur le principe.
Sa science de New York, des quartiers (Brooklyn, Bronx…) et des labels de musiques est grande, il connaît l’histoire des musiciens, mais aussi des mecs du business, des arnaques et des quelques miracles musicaux. Là cela se passe autour de 1950 (entre Jazz et Doo Wop).
Drugs and Rock N Roll
Deux nouvelles éditées par Allia détaillent ces questions : la plus connue Réserve ta dernière danse pour Satan, traite d’une bande typique : quelques italiens et autres immigrés, Weiss, Goldner, Kolsky, Kahl, Levy entre autres, presque tous juifs, joueurs invétérés et parieurs, y compris en tubes et en stars, et leurs hommes de main, italiens (les bookmakers de Broadway étaient plutôt italiens, le cinéma avait des bandes de hongrois, allemands… et même des français)…Zelma « zell » Sanders est l’afro-américaine qui fait exception (femme et noire !) sauf pour les arnaques… (système jamaïcain…)
La valse des labels : Scatt, Dice, Omega, King, Idea, Cascade… fait rêver. Les noms de groupes : Jaynetts, Hearts, Midnighters, Fiestas…Dont les membres varient selon les pochettes et les crédits, histoire de noyer les droits et les artistes dans le flou artistique ! Tous les musiciens et chanteurs étaient noirs : une réserve inépuisable de choristes, musiciens, auteurs, interprètes doués et, hélas, naïfs !
Dans cette nouvelle ( tirée d’un article du Vanity Fair), il a cette phrase : « Les Beatles, cette espèce de groupe de filles avec des organes génitaux mâles…» (!) Nick Toshes peut être brutal et chauvin, comme ces requins du show biz rock naissant, qui perdaient au jeu tout ce qu’ils gagnaient sur le dos des amateurs doués, sur lesquels finalement ils avaient également parié !
Bref, il s’agit d’un pur moment de Rock and Roll, qu’on appelait à l’époque « Rythm and Blues », et qui en était la matrice…noire. L’exploitation de leur talent a enfanté un Rythm and Blues « Rock ».
Le deuxième petit livre s’intitule Confessions d’un chasseur d’opium, où il raconte son voyage en Thaïlande, puis Laos, pour trouver et fumer de l’opium, mais du bon, du pur , dans les règles de l’Art : et il rame pour finir ans un taudis perdu, – mais avec des connaisseurs – isolés au bout d’un bled de jungle. Un « trou à rats » selon ses mots.
Car le produit n’intéresse plus. Maintenant, on vend des amphétamines et autres speed. Il arrive trop tard. J’ai connu la fin de l’époque des fumeries en Inde, pendant quelques années (Bombay, Bénarés…) avant qu’on me réponde que vendre du Campa Cola rapportait plus !
Sa description de la méthode est parfaite, mais comme tout le monde, il bute un peu sur ce qui se passe ensuite : les effets si subtils et indéfinissables de l’opium, ce « chandu » sacré de l’Inde.
Il évoque perfection, oubli, perfection, paradis…il n’y a pas de mot pour définir l’action de l’opium et j’ajoute : un esprit clair ( ! ) qui permet de rappeler n’importe quelle période de sa vie, comme un film, et la sensation que le produit était déjà là (est-ce le fait que notre corps fabrique aussi des endomorphines ? En nous, avant la première pipe ! Ces textes permettent de connaître Nick Toshes, auteur américain, né en 1949, comme moi…
Nick Tosches. Garde ta dernière danse pour Satan, 140 pages. 6 euros 20. Et Confessions d’un chasseur d’opium…Éditions Allia (chez le même éditeur : Hellfire (bio de Jerry Lee Lewis. Héros oubliés du Rock n Roll. Les racines tordues du Rock n Roll etc.)
Visuels : (c) Éditions Allia / Robert Maxwell (en Une)