Dans Plus Près De Toi, la chronique internationale de Thomas Zribi.
Toutes les semaines, Thomas Zribi, journaliste chez Nova Production, fait sa chronique internationale dans Plus Près De Toi. La voici.
Je voudrais tenter d’expliquer la crise politique en Italie. Il n’y a pas de gouvernement, les partis se déchirent, on crie au complot, à la manipulation de l’étranger, les marchés financiers paniquent. On peut le dire aujourd’hui sans complexe, l’Italie a peur. Que s’est-il passé ?
En Italie, l’impossible majorité ?
Tout d’abord le pays souffre de son système politique parlementaire à scrutin en grande partie proportionnel, qui ressemble un peu à notre Quatrième République française. Dans ce système il est quasiment impossible d’avoir une majorité au Parlement.
Il faut faire des alliances, souvent entre des partis très différents, ce qui provoque un bordel général après chaque élection, le temps de constituer un gouvernement.
C’est exactement ce qui s’est passé en mars dernier, lors des dernières élections. Aucun parti n’obtient la majorité, donc ils réfléchissent pendant un long moment aux différentes possibilités d’alliance.
La Ligue, le Mouvement Cinq étoiles : alliance décisive
Finalement deux partis se mettent d’accord pour gouverner ensemble. D’un côté la Ligue, anciennement la Ligue du Nord, parti d’extrême droite. Pendant longtemps la Ligue du Nord voulait que les habitants du Nord, riches, se débarrassent des pauvres du Sud qui leur bouffaient la laine sur le dos.
Mais ces dernières années, en s’inspirant du front national français, le parti a tenté de rassembler plus large, en enlevant le terme « nord » de son nom, et surtout en reprochant à d’autres de bouffer la laine sur le dos des italiens : les migrants et en particulier les musulmans. Gros succès, la Ligue a obtenu 17% des voix.
De l’autre côté le mouvement cinq étoiles. Le « 5 » de cinq étoiles s’écrit en chiffre romain, un V, ce qui a son importance car ce V siginifie Vafonculo en italien, expression que je n’ai pas besoin de traduire. Comme son nom l’indique c’est un parti anti système, qui dénonce les pourris, les corrompus, les politiciens professionnels.
Il a été créé par un humoriste célèbre, Beppe Grillo, et à part son rejet du système, on a un peu de mal à en comprendre la ligne : un jour européen, l’autre non, un jour ultra libéral l’autre tenant d’une politique économique de gauche.
Pas grand-chose à voir avec la Ligue, donc, sauf le rejet des étrangers. Le mouvement cinq étoiles souhaite également durcir la politique migratoire. Lui a obtenu 32% aux élections.
Ces deux partis ont discuté pendant soixante-dix jours pour constituer un programme de gouvernement commun, c’était compliqué mais ils y sont parvenus.
Ce programme illustre bien l’alliance un peu bizarre entre les deux. On y trouve des mesures de gauche : sortie de l’austérité, abaissement de l’âge de la retraite, un revenu de solidarité pour les plus pauvres. Et aussi des mesures super à droite : l’autorisation de tirer à balles réelles sur un voleur, la fermeture de mosquées, des expulsions de masse, et la construction de prisons.
Ce programme est donc validé le 18 mai, il y a deux semaines, deux mois et demi après les élections. La Ligue et le mouvement cinq étoiles choisissent leur candidat pour être président du Conseil, l’équivalent du Premier Ministre chez nous. Il s’agit de Giuseppe Conte, un juriste parfaitement inconnu, qui ne fait partie d’aucune des deux formations politiques. On se dit qu’après tout ce temps, l’Italie va être gouvernée, enfin.
Le véto du président
Mais c’est là que ça se complique. La constitution prévoit que Giuseppe Conte présente au président de la République les membres de son futur gouvernement. En général c’est une formalité, le président n’a que très peu de pouvoirs dans le pays. Mais le président décide de refuser la nomination du ministre de l’économie, un homme favorable à la sortie de l’Euro.
Inacceptable, car cela mettrait en danger, selon lui, l’économie italienne. Re-bordel général : la Ligue et le mouvement cinq étoiles, qui étaient déjà anti système, hurlent au scandale, dénoncent la pression des lobbies bancaires et de l’Union européenne, et refusent de proposer un autre ministre de l’économie. Blocage total.
La seule solution est d’organiser de nouvelles élections. Il faut le temps de l’organiser, elles devraient avoir lieu à l’automne prochain, six mois après celles de mars.
La Ligue et le Mouvement cinq étoiles auront de nombreux arguments, c’est certain, pour faire une campagne encore plus efficace : deux partis anti système empêchés de gouverner par le système. En attendant, le pays n’est pas dirigé. Un gouvernement provisoire va être nommé par le président. Mais il ne pourra rien décider, juste gérer les affaires courantes.
L’Italie a peur, je vous le disais. Le pays est bloqué, et peut s’attendre à voir très bientôt l’extrême droite faire un score bien plus gros, et gouverner les mains libres.
Visuel : (c) Getty Images / Stefano Montesi – Corbis