Artiste timide ou icône de la pop ? Une affaire juridique qui implique Prince et Andy Warhol portée devant la Cour Suprême.
Dans la série “affaires en cours dans les tribunaux américains”, on parlait hier d’une nouvelle loi luttant contre un biais raciste. Ces jours-ci, c’est une histoire qui implique deux artistes décédés, Prince et Andy Warhol, qui agite un peu le monde juridique. Accrochez-vous c’est un poil complexe.
C’est un feuilleton qui remonte à 1981, année où la photographe Lynn Goldsmith est embauchée pour tirer le portrait d’un musicien en pleine ascension, un certain Prince.
Quand 3 ans plus tard, le prince de la pop sort Purple Rain, un carton absolu, le magazine Vanity Fair commande à Andy Warhol (figure révolutionnaire de l’art pop) un portrait de Prince. L’artiste peintre demande alors à la photographe Lynn Goldsmith le droit d’utiliser le cliché de Prince, ce qu’elle accepte pour la somme de 400 dollars. Warhol comme à son habitude retouche le cliché en y ajoutant des couleurs vives qui accrochent le regard, cette fois-ci avec un violet très approprié qui donne comme nom à l’œuvre Purple Fame.
L’histoire aurait pu s’arrêter là… Sauf qu’Andy Warhol a produit 15 autres déclinaisons de ce portrait de Prince avec des couleurs différentes : de l’orange, du bleu, du jaune… pour lesquels il n’a jamais demandé l’autorisation. À la mort de Prince en 2016, ces versions alternatives revoient le jour, utilisées par Vanity Fair dans un article rétrospectif sur la carrière du chanteur. C’est à ce moment-là que la photographe Lynn Goldsmith découvre toutes ces reproductions de sa photo originale qu’elle n’a jamais autorisée.
La fondation Andy Warhol, qui gère sa collection (et qui touche de grosses sommes pour ces portraits), attaque alors en justice la photographe, sentant peut-être qu’elle allait tenter de faire valoir ses droits. La photographe rentre à son tour dans la bataille juridique, avec en jeu des sommes auquelle elle pourrait bien avoir droit.
Après quelques aller-retours, échanges entre avocats, et conversations houleuses, l’affaire est portée devant la Cour Suprême des États-Unis, soit la plus haute autorité juridique du pays. La question : Est-ce que l’on a affaire à une simple transformation d’une œuvre originale ou est-ce que ces portraits déclinés à partir du cliché de la photographe sont des œuvres originales ?
Impossible d’avoir un consensus pour le moment, le monde de l’art est partagé, car rentre en jeu un rapport émotionnel à l’art qu’il est difficile d’exprimer dans un tribunal. Le cliché original montre un Prince un peu fragile, vulnérable, qui semble timidement se présenter à la caméra. Néanmoins, les versions de Warhol, qui mettent l’accent sur le visage du prince de la pop, en y ajoutant une palette de couleurs vives, en font une icône éclatante. Le propos est donc complètement différent.
C’est à la Cour Suprême qu’il revient d’apporter une conclusion à cette histoire. Le verdict est attendu pour juin prochain et il sera peut-être lourd de sens : cette décision pourrait signifier que répliquer des images à l’infini, à partir du moment où on les modifie légèrement pour en changer le propos, serait autorisé et constituerait des œuvres nouvelles.
Un texte issu de C’est Bola vie, la chronique hebdomadaire (lundi au vendredi, 8h45) de David Bola dans Un Nova jour se lève.