Et ça pose quelques problèmes.
L’Assemblée nationale planche depuis le 7 juin sur la loi « contre les manipulations de l’information », et la tâche n’est pas simple. À tel point que le vote a été repoussé au mois de juillet. En cause, des séances qui s’éternisent, de nombreux amendements restant à l’étude, des voix qui s’élèvent de concert pour protéger la liberté d’expression, composante ambiguë du débat.
Le nom du projet de loi, modifié en cours de route, en témoigne. Désormais, on ne parle plus de projet de loi contre « les fausses informations », comme l’avait baptisé l’Élysée (dont il provient), mais contre « les manipulations de l’information ». La précision des mots traduit un concept délicat, réversible, protéiforme, que chacun peut brandir à son avantage. Qu’est-ce qu’une fausse information à l’ère de Donald Trump, de Cambridge Analytica, de la fachosphère et des bots russes ? Et surtout, l’État doit-il faire autorité dans ce domaine ? Le Conseil d’État avait rendu plusieurs critiques sur le texte initial, qui ont donné lieu à des modifications, et ont notamment servi à définir le terme : « toute allégation ou imputation d’un fait dépourvue d’éléments vérifiables de nature à le rendre vraisemblable ».
C’est désormais au tour des députés de se faire entendre. Pour beaucoup, le texte est « liberticide », pour d’autres, tout simplement « inutile ». Ils et elles déplorent notamment le manque de solutions à long terme (comme une éducation aux médias obligatoire pour les enfants) et des solutions à court terme irréalisables (comme l’intervention d’un juge en 48h pour déterminer la véracité d’une information).
Et si l’État choisissait quelles news sont fake ?
Par ailleurs, comme le soulignait Marianne, au moins cinq amendements tentent d’inscrire dans le texte la création d’un label de certification de l’information, distribué par l’État. Des députés LREM et du Modem ont en effet proposé une « labellisation » ou « certification » des sources d’information. Un repère visuel qui validerait la véracité d’une information selon l’État français. Invoquant « l’égalité des citoyens devant le droit (…) à la liberté d’expression et de communication », l’amendement n°186 réclame par exemple « une obligation de signalétique, qui pourra s’exercer aussi bien pour labelliser les sites de confiance que pour mettre en garde contre les sites de moindre crédibilité. » La tâche reviendrait au CSA, comme le propose l’amendement n°230.
Différents espaces de fact-checking se sont mis en place pour répondre à l’avalanche de fausses informations, d’images détournées, et même de faux leaks qui constituent désormais nos paysages médiatiques, particulièrement pendant les périodes électorales. RSF proposait sensiblement la même chose en mai dernier, des sites comme Le Monde (Les Décodeurs), Libé (Désintox), ou encore Franceinfo (Vrai ou fake) ont mis en place des services dédiés à vérifier les informations. Mais une labellisation de l’État pose la question d’une ingérence institutionnelle dans les rédactions qui laisse déjà songeurs (voire révolte totalement) certains journalistes.
Le CSA pour délivrer une «labellisation certifiée des sources d’information de confiance».
— Olivier Auguste (@Olivier_Auguste) June 7, 2018
AU SECOOOOOOOOOOOOOOOOOOOURS !#FakeNews #BigBrother #Pravda https://t.co/aB6xzdXtjN
« Procédure de labellisation (des médias) certifiée confiée au Conseil supérieur de l’audiovisuel »
— Gwendal Perrin (@GwendalPerrin) June 7, 2018
C’est comme le Décodex by les @decodeurs mais en genre dangereux et étatisé.
Sympa, cette #PPLFakeNews à venir. #media #journalisme https://t.co/LdiK9MgNAf
Quand nos députés, après une cinquantaine d’heures cumulées de réflexion intense, discutent fort sérieusement des modalités de mise à mort numérique de la pensée non-labellisée (par leurs soins.) Glaçant.
— Géraldine Woessner (@GeWoessner) June 7, 2018
Visuel © GETTY IMAGES / Karl Tapales