La chronique de Jean Rouzaud.
Après les manifestations et barricades de Mai 68, s’ensuivit une période bizarre. Était-ce un échec ? Ou au contraire une révolution des mœurs était-elle en cours ?
Tous les militants étaient en alerte : continuons le combat ! Et il y avait toujours les groupes politiques : Lutte Ouvrière n’y suffisait pas, alors on énumérait les bandes, LCR (Ligue Communiste Révolutionnaire), VLR (Vive La Révolution), les Maoïstes, les Trotskystes, les Staliniens du PC, la GP (Gauche Prolétarienne), la Fédération Anarchiste, la CNT (Confédération Nationale du Travail), les Situationnistes etc. La liste est longue !
La fin du gauchistan ?
Tous ces déçus de 68 (et d’avant) brûlaient d’agir, alors des AG, des débats, des tracts et des journaux fleurirent pour crier à la révolte, aux injustices sociales, au racisme, à l’exploitation des travailleurs, des immigrés, des femmes et des jeunes ! Énorme programme.
Les éditions L’Échappée publient le récit du quinzomadaire Tout !, qui fut en quelques numéros le lieu de rencontre de beaucoup de mouvances gauchistes, tendance libertaire.
Ce livre tente de faire revivre les espoirs, mais aussi les désordres, les luttes intestines, les rivalités des ces contestataires déchainés, dont l’unité était inexistante et les revendications contradictoires.
Espoirs et désordres
Si l’Italie avec les « Brigades rouges », ou les Allemands avec la « Fraction armée rouge », allaient agir violemment (assassinat et attentats), les autonomes français subiraient la même difficultés à s’organiser.
Et dans ce récit d’un journal révolutionnaire (Tout !, comme « tout , tout de suite ») notre ancêtre Actuel, est largement cité et critiqué, comme étant avant tout centré sur musique et mœurs, révolution Pop et libération Hippy…Un hédonisme plus que condamné par les « purs » !
Les utopies politiques ou sociales étaient innombrables : du retour à la terre à l’autogestion en passant par la révolution, la gratuité généralisée, l’amour, l’avortement , la justice, la refonte des institutions, la fin de la famille, de l’armée , de la religion, du travail…Il y avait vraiment beaucoup à faire, mais la révolte criarde finit par tuer la Révolution.
L’épuisement à force de contradictions
Tous les petits journaux gauchistes finirent par s’épuiser à force de contradictions (les homos et les filles n’y croyaient plus, vu le machisme régnant !) On est souvent vaincus par ses propres défauts.
La visite des yippies de New York ou des Black Panthers déboucha sur des déceptions, puis des disputes. L’État multiplia les plaintes, procès censures, répressions. Vengeances et paranos de l’après 68…
Il y eut un ras le bol de la politique, des slogans débiles, des mots d’ordre « à la communiste », des divisions et des débats stériles ! Il n’y avait plus une once d’humour chez des militants attardés, devenus jargonneux et largués…Le Gauchistan devenait invivable !
J’ai eu beau assister à tout ça, j’ai peine à croire aujourd’hui que de telles idées et comportement aient pu exister, mais la frustration des décennies précédentes avait mis certains Français en rage !
Mais ces utopies brouillonnes et ces revendications souvent gravement irréalistes, ont donné un peu d’oxygène et de folie à cette époque, notamment à Actuel et Libé, et à une génération naïve et en retard…
Tout !, Gauchisme, contre culture et presse alternative dans l’après mai 68. Par Manus Mc Grogan. Éditions L’Échappée. 224 pages, 19 euros.
Visuel : (c) Getty Images / ullstein bild Dtl.