Une histoire de fraude fait scandale, secouant du même coup le monde du rock et celui du livre.
Dès les années 1960, Bob Dylan rend compte, à travers sa musique, des troubles sociaux étasuniens, ses chansons sont des hymnes militants pour les mouvements civiques de l’époque. L’artiste maîtrise aussi bien le registre folk, country, blues, gospel que rock’n’roll. En 2016, l’académie suédoise lui décerne le prix Nobel de littérature, pour “avoir créé de nouveaux modes d’expression poétique”.
Depuis, il n’avait pas sorti de livre. Le 1er novembre, l’auteur brise ce silence littéraire et publie Philosophie de la chanson moderne chez l’éditeur Simon and Schuster. Dans ce livre, il offre un panorama sur la musique populaire, à travers un point de vue à la fois personnel et universel. Cet ouvrage, entre journal et essai, est composé de 66 textes, illustrés de 150 photos. Il y analyse des morceaux devenus des classiques, se penchant ainsi sur d’autres figures du paysage musical mondial, avec beaucoup d’humour.
Un ouvrage qui s’échange contre 55 dollars en édition standard (39,90 euros en France, aux éditions Fayard) ou 600 dollars en édition limitée, tirage de 900 exemplaires signés par le chanteur lui-même, du moins c’est ainsi que cela devait se passer. Très vite, une rumeur s’élève parmi la communauté des fans, rumeur selon laquelle les coups de stylos ne seraient pas ceux de l’artiste mais d’une machine. Les ouvrages et les signatures sont alors vite comparées, 17 variations sont identifiées.
Dès le 21 octobre, Indigo, chaîne de libraires canadiens, en charge de la distribution du livre, affiche une indisponibilité de l’ouvrage pour des raisons de prises de “directions opposées” empruntées par l’éditeur et l’artiste.
Le 20 novembre, l’éditeur Simon & Schuster communique sur les réseaux sociaux : “Pour ceux d’entre vous qui auraient acheté Philosophie de la Chanson Moderne dans son édition limitée, nous tenons à vous présenter nos excuses. Il s’avère que, l’édition limitée de cet ouvrage contient bien la signature de Bob Dylan, mais sous la forme d’une réplique mécanique. Nous prenons des dispositions immédiates en proposant un remboursement à chaque acheteur.”
Quant à l’artiste, icône de la contre-culture rock qui s’est auparavant soulevé contre la société de surconsommation, il s’est aussi exprimé et excusé sur les réseaux sociaux le 25 novembre, assurant voulant rectifier son erreur. Il explique alors avoir signé à la main pendant des années chaque tirage de ses livres, mais qu’à partir de 2019, suite à des vertiges et diverses conditions médicales, il a dû se résoudre à utiliser un stylo automatique afin de respecter les échéances contractuelles éditoriales.
Bob Dylan qui, fut un temps, entrait dans une pièce un stylo à la main (“You walk into the room with a pencil in your hand” dans “Ballad of a thin man”), doit aujourd’hui préciser qu’il s’agit d’un stylo automatique, et s’excuse, invoquant des raisons médicales, mais aussi le fait qu’on lui ait conseillé cette alternative, qui, lui a-t-on dit, se pratique souvent dans le milieu éditorial.
Si ce scandale est présenté comme une affaire particulière, elle soulève du même coup des questions plus vastes sur le monde éditorial, et celui de la culture. Le fait de faire signer des manuscrits par des auteurs, surtout par des auteurs déjà reconnus, par des stars donc, est monnaie courante dans le monde éditorial, moyennant un prix souvent exorbitant, est-ce qu’un coup de griffe (venant qui plus est d’un auteur anti-surconsommation à l’origine) suffit à justifier une telle inflation ?
Un texte issu de C’est Bola vie, la chronique hebdomadaire (lundi au vendredi, 8h45) de David Bola dans Un Nova jour se lève.