La chronique « Tout doit disparaître » de Marie Misset dans la matinale d’été
Vous vous souvenez de ce temps lointain où quand vous glissiez une main dans la portière de votre voiture, vous en reveniez avec un échantillon du génie français. J’ai nommé cette merveille : la carte IGN. Une production collective et collaborative faite à partir de photographies prises depuis le ciel avec trois hélicoptères. Mais aussi de balades de géomètres et géographes dans les sous-bois avec un appareil rigolo dans leur sac à dos qui mesure des trucs.
Depuis quand n’avez-vous pas sorti une carte IGN de la Franche-Comté de votre portière abandonnée ? Depuis quand n’avez-vous pas maladroitement essayé de l’ouvrir sur vos genoux bien trop petits ? Depuis quand n’avez-vous pas refusé de faire copilote dans l’angoisse sourde de devoir d’abord déplier puis replier cette hydre à 12 têtes ? Depuis quand n’êtes-vous pas sorti de votre voiture en rase campagne ou perdu sur une route de montagne pour l’étaler en grand sur votre capot de voiture ?
Dans votre portière, il n’y a sans doute plus que des vieux papiers froissés de chocobons. Mais ne vous inquiétez pas, elles existent encore, elles ne sont simplement plus trop dans vos portières de voitures. J’ai cependant entendu que certains jeunes géographes lisaient des cartes IGN sur la plage encore cet été.
Et puis soulignons, histoire de ne pas sombrer dans la nostalgie que la carte numérique a du bon. Notamment en zone de conflit. Il faut le savoir dans l’armée française, en cas de conflit, les cartographes sont envoyés en tout premier. C’est un élément très important dans n’importe quelle guerre.
Et c’est là que le numérique a un avantage. Pour Jen Ziemke, codirectrice de International Network of Crisis Mappers, la cartographie interactive en temps de crise peut contribuer à protéger les populations prises dans des conflits. Ces cartes interactives en temps réel peuvent intégrer beaucoup de données : des images satellites, des photographies aériennes mais aussi des vidéos filmées avec un téléphone portable ou les récits de témoins envoyés par mail.
Jen Ziemke donne plusieurs exemples d’une cartographie de conflits efficace :
- Syria Tracker qui a rassemblé des témoignages de violences et de crimes contre les civils perpétrés par tous les camps depuis les premiers jours de conflit. Cela aidera beaucoup dans l’hypothèse folle que certains seront un jour jugés pour crime contre l’humanité.
- Libya Crisis Map qui a permis de suivre les déplacements des réfugiés, les demandes de vivres et d’eau et l’évolution de la situation pendant les débuts de la guerre en Libye, ce qui a permis aux convois humanitaires de répondre vite et mieux aux besoins des civils.
De fait, l’existence de ces cartes peut même modifier le cours des événements sur le terrain et devenir elle-même des terrains d’affrontements, comme le sont parfois les pages Wikipédia.
Mais qu’on ne s’en fasse pas, les géographes et cartographes qui lisent des cartes IGN à la plage sont parfaitement au courant des risques que la cartographie court. Par ailleurs, que ce soit la carte IGN de la Franche-Comté ou celles produites depuis que l’humanité a décidé de faire des cartes, les cartes ne sont jamais neutres. Au moins, maintenant c’est encore plus clair.
Visuel (c) Flickr / ActuaLitté