La chronique d’Armel Hemme dans la matinale de Nova.
On l’apprenait il y a quelques jours, le journal The Village Voice va disparaître après plus de soixante ans d’existence… The Village Voice, journal américain, une institution new-yorkaise lancée en 1955, un hebdomadaire centré sur la culture et la politique. Je vous en parle car un auteur m’a beaucoup marqué, quand j’étais plus petit : Lester Bangs, critique musical, rock critic... Auteur sauvage, génial et cramé écrivant sous substance, mort en 1982 à 33 ans : il publiait entres autres dans The Village Voice.
La question du modèle économique s’est posée cruellement pour ce journal, comme pour tant d’autres… À l’époque de sa splendeur, The Village Voice, c’était 80 pages dont 2/3 de publicités – et des petites annonces, qui ont fait sa renommée… Au milieu de tout ça, il y avait aussi des grands reportages. On peut dire que le magazine a raté sa conversion au numérique… Par manque de réseau d’abonnés, peut-être. François Bougon, journaliste au Monde, nous en parle.
En quoi le journal a-t-il marqué sa génération ?
François Bougon : Village Voice a été le journal de la Beat Generation, il a commencé avec eux. Il a suivi dans les années 70-80 la vie du quartier de Greenwich Village, qui était le quartier de la bohème, la transposition de la rive gauche parisienne de l’après-guerre dans les Etats-Unis des années 50. Les gens qui ont fondé ce journal, Dan Wolf, Ed Fancher et Norman Mailer avait en tête cette idée du Paris de l’existentialisme.
Qu’est-ce qui a fait la force de ce journal ?
François Bougon : Au début, c’est lancé comme un petit journal, très chaotique, anarchique, on a dit qu’il était le journal de la contre-culture mais au début c’est pas vraiment ça. C’est un journal qui a déjà envie de faire de l’argent mais qui en perd et qui veut s’ouvrir à toutes les voies, et pas seulement à une voie. Ça en fait toute sa saveur. En 67, c’est le magazine hebdomadaire le plus vendu aux Etats-Unis. Il commence à gagner de l’argent. Il a eu du succès parce qu’il a épousé une génération, des époques différentes, c’est ce qui fait la force de ce magazine qui aujourd’hui est en train de mourir.
Comment expliquer sa chute ?
François Bougon : Le Village Voice, ce ne sont pas les abonnés qui le faisait vivre, c’était les newsstands, les magazines distribués dans la rue et dans les kiosques. Donc c’est d’autant plus compliqué pour ce genre de média de réussir une bascule numérique. C’est typiquement ces journaux qui correspondent à des époques, à des générations. Quand il a eu beaucoup de succès, il était lu par cette classe moyenne qui avait envie de garder un contact avec une contre-culture, peut-être qu’il y n’a plus de lectorat, et le Greenwich village n’est plus du tout le lieu de la bohème.
Est-ce qu’il y a eu, ou y a t-il encore, un équivalent français ?
François Bougon : Comme journal un peu générationnel – ça vous dira peut-être quelque chose – c’était Actuel qui avait été lancé par Jean-François Bizot, si on veut voir une volonté de lancer un journal un peu alternatif qui mélange à la fois la culture, la littérature et qui raconte la société dans laquelle vous êtes. En essayant d’échapper aux canons du journalisme dit traditionnel. Par exemple Village Voice a traduit très vite le « je » dans la narration, puis aussi ce qu’on appelait le « nouveau journalisme » avec l’idée que l’objectivité n’existait pas. Si je devais faire un rapprochement, une analogie qui de toute façon est malheureuse, je dirais Actuel.
Un petit hommage au fondateur de cette radio, JF Bizot, au passage…
La chronique d’Armel Hemme dans la matinale de Nova.