La chronique de Jean Rouzaud.
Avec cette énième compilation de Soul Jazz Records, c’est encore une strate du premier label jamaïcain que l’on redécouvre, côté grande voix et arrangements de morceaux emblématiques, repris et remixés.
C’était avant le Reggae !
Les dix-huit morceaux de ce CD (ou double Vinyl pour les collectors), alignent les plus grands noms, au firmament des talents de l’île. Don Drummond, Delroy Wilson, Alton Ellis, Peter Tosh, Roland Alphonso, Ernest Ranglin, Bob Marley, Jackie Mitoo…N’en jetez plus, ces personnages hors norme ont tout réinventé, à partir de standards américains…ou jamaïcains. C’était avant le Reggae !
Le livret de vingt pages contenu dans ce CD, avec les images de toutes ces stars, est incroyable. Chaque chanteur ou musicien (clavier, sax, guitare…) y est décrit, mais surtout CHAQUE morceau est détaillé avec TOUT l’historique de sa naissance, lieux et interprètes, de ses différentes versions, jusqu’à celle de l’album entre vos mains…
Ces notes ultra-savantes ont été regroupées grâce à un groupe d’érudits, cités en fin de livret (Stuart Baker, Steve Barrow, Paul Coote, Chris Lane, Pete Reilly et Karen Tate…)
Arriver à connaître le cheminement de morceaux des années 60 est pour moi un exploit émouvant. Les textes sont si précis qu’ils n’oublient pas de citer des personnalités immenses, comme Duke Reid (et son studio Treasure Island !) ou Bunny Lee, immense producteur que j’ai eu le bonheur de rencontrer, interviewer, filmer et qui m’a appris des choses capitales sur l’histoire « vraie » jamaïcaine (voir nombre d’articles sur ce site et mon livre Contre-culture. Éditions Nova). Concurrent de Studio One, Bunny « Striker » Lee a travaillé avec Prince Buster (Ska), Lee Perry (Rock, Steady, Reggae…), King Tubby (Dub)…les plus grands noms pour les connaisseurs.
Enfin, en ces débuts de Studio One (le super studio de Clement Coxson Dodd, label original de ce cet album), on y apprend qu’il a eu, après le magasin de disques (Muzik City Record Shop en 1959), un club, puis enfin le label avec petite usine de pressage de Brentford Road…
Bien d’autres noms prestigieux se sont penchés sur le berceau de Studio One, souvent indirectement ou grâce à la valse des talents et des artistes qui naviguaient d’un label à l’autre, d’un producteur à l’autre, et aussi au gré des genres musicaux qui se succédaient : Ska, Rocksteady, Reggae, Dub, Dancehall, Ragga…
La souplesse des équipes de ces labels (qui provoqua aussi bien des concurrences, des désordres, des détournements, et des procès) favorisa la musique, mais souvent au détriment des musiciens qui n’avaient pas de titre ou de poste fixe dans les studios.
Cette série de titres est avant tout basée sur des tubes flottants de cette époque fiévreuse, toujours mélodiques, ultra agréables à écouter, des voix magnifiques, en train de se révéler à des producteurs chanceux.
C’est vraiment un disque de pionniers, d’arrangeurs, de surdoués vocaux, d’organistes inspirés, quand les Jamaïcains allaient devenir les grands maîtres de la production, des dosages, des effets, des trouvailles folles et brutales qui allaient révolutionner Pop et Rock (et aussi le Punk, la Disco, l’Électro, le Rap, etc.)
C’est vraiment la naissance d’un nouveau son : celui de la jeune Jamaïque indépendante. Une nouvelle matrice pour la musique Pop.
Studio One Freedom Sounds. Studio One in the sixties. Soul Jazz Records. CD 18 titres + Booklet historique de la genèse de chaque morceau et photos des artistes à l’époque. 20 pages. Existe aussi en double vinyl collector.
Visuel : (c) Soul Jazz Records