François Jost était l’invité ce matin d’Armel Hemme. Il présentait « La méchanceté en actes à l’ère numérique ».
Sémiologue, professeur émérite à l’université Sorbonne-Nouvelle, auteur de plusieurs ouvrages sur l’image et les médias, dont Les nouveaux méchants, François Jost a sorti cette année La méchanceté en actes à l’ère numérique, aux CNRS Éditions. « La méchanceté est l’attitude la mieux partagée par les médias (presse, téléréalité, chroniqueurs, internautes…) », constate-il. Et il n’y a pas qu’Hanouna et Cie, qui est pourtant un bon exemple de ces individus qui se montrent méchants uniquement afin d’assurer leur propre promotion.
François Jost : « Les méchants, très souvent, sont anonymes aujourd’hui. C’est un peu l’un des gros problèmes du web. N’importe qui peut dire n’importe quoi de n’importe qui, en se cachant derrière un pseudo. Il y a ainsi beaucoup plus de méchants inconnus que de méchants connus. À partir du moment où l’on donne son nom, sur le net, on se rend compte que les propos sont beaucoup plus tempérés. »
De ces commentaires malveillants, perpétrés par ces individus que l’on nomme donc des « trolls », François Jost y a été confronté, lorsque, auteur sur le site Le Plus du magazine L’Obs, des gens le descendaient absolument systématiquement, sans tenir vraiment compte du propos, mais plutôt du statut. Au XXIe siècle, un acharnement basique.
« La méchanceté n’est pas plus importante qu’avant, elle est simplement plus visible ». Elle a aussi été encouragée par des programmes télévisés qui, dès les années 80, ont fait la part belle à un acte de méchanceté gratuite, et fondé sur pas grand-chose, une méchanceté qui devait se montrer inévitablement graduelle.
« Dans les années 80, il y avait déjà une émission qui s’appelait Psy-show, sur Antenne 2, une émission où des couples qui allaient mal étaient là pour raconter leur vie. Après deux heures à discuter avec un psy, tout allait mieux. C’est à partir de cette époque-là que le malheur des autres est devenu un spectacle. J’analyse comment, à force de se complaire dans le malheur des autres, on en vient à juger les autres, et très souvent à les juger sévèrement. »
Dans ces programmes, il ne s’agit à aucun moment de comprendre l’autre, mais bien de l’accuser, ou de le dégrader
« Et puis bien sûr, en 2001, il y a le tournant Loft Story, qui intervient aussi au moment du lancement du téléphone portable. Au départ de l’émission, on parle du fait ‘d’exclure les gens’. Certains sociologues (j’en ai notamment fait partie) ont pris la parole afin de pointer l’extrême violence de ces mots-là. Exclure quelqu’un, c’est particulièrement brutal. Des gens faisaient état de leur vie et la mettaient en scène devant les caméras, et d’autres, bien tranquillement installés chez eux dans leur canapé, décidaient de les ‘exclure’. Dans ces programmes, il ne s’agit à aucun moment de comprendre l’autre, mais bien de l’accuser, ou de le dégrader. Et on prend plaisir à regarder ça. »
Aujourd’hui, la méchanceté a largement dépassé le simple cadre des télé-séries. Et le jugement se fait de plus en plus rapide. Il y a les étoiles que l’on attribue, ou non, aux chauffeurs Uber, ou aux restaurants que l’on juge sur TripAdvisor. Des notes qui ne sont même pas parfois même pas accompagnés de commentaires. Trop long, pas 2018. Des dérives qui, à l’image de cet épisode de la saison 3 de Black Mirror, est en train d’arriver en Chine. C’est moche, c’est méchant.
François Jost était l’invité ce matin d’Armel Hemme. Son interview, à réécouter ci-dessous.
Visuel : (c) CNRS Éditions