Que reste-t-il du printemps arabe en Tunisie ? Un polar singulier affirme que le feu brûle encore.
En décembre 2010, Mohammed Bouazzini, un vendeur ambulant de fruits et légumes s’immolait devant la préfecture de Sidi Bouzid en Tunisie pour protester contre ses conditions de vie. Un suicide qui allait embraser le pays et au-delà pour devenir l’étincelles fondatrices du Printemps arabe.
Treize ans plus tard, Ashkal, s’en fait l’écho tout en voulant faire le point sur la refondation sociale de la Tunisie depuis le départ de Ben Ali du pouvoir. Le film de Youssef Chebbi suit l’enquête de deux flics, un vétéran soupçonné d’avoir été corrompu et une jeune recrue idéaliste sur un cas étrange : un corps calciné a été retrouvé dans le chantier d’un authentique programme immobilier de résidences pour la haute bourgeoisie, commandité sous Ben Ali puis abandonné. D’autres suivront. Sont-ils des témoins gênants pour une police qui essaie de faire oublier des méthodes peu glorieuses via une commission Vérité et réhabilitation ou une résurgence surnaturelle des espoirs brisés de la population ?
Entre film noir et fantastique, Ashkal confirme la volonté d’une production du maghreb de renverser les codes, de raconter comment rien n’a vraiment changé dans cette période post-révolution, tout en revoyant les fondamentaux du cinéma local. L’enquête de ces deux flics déborde de son cadre de polar procédural pour interroger les attentes structurelles de la société tunisienne d’aujourd’hui et se demander comment on passe à la suite. En brûlant tout ce qui tient du passé pour mieux renaître de ses cendres ou en continuant à entretenir la flamme d’une population qui reste en rogne ? Dans la réalité, l’Etat tunisien à choisi : la réelle commission – qui s’intitulait Vérité et dignité- a, en dépit de preuves flagrantes, tout ignoré, fait le choix de l’amnésie en guise d’amnistie. Chebbi y rétorque dans son film par une sorte de croque-mitaine sans visage qui tient à la fois d’une force vengeresse et d’un espoir. Le mot Ashkal se traduit en français plus ou moins par silhouette ou schéma. C’est bel et bien ceux d’une société à venir que tente d’esquisser ce film, sans indiquer si l’incendie moral et social qui s’y régénère sans cesse est une fin de monde ou un début, un constat d’échec ou une prophétie purificatrice.
En salles le 25 janvier