Une scène qui fait l’objet d’une compilation intitulée « Nouvelle Ambiance !!! »
En 2016, le producteur et DJ londonien Hugo Mendez célébrait un anniversaire. Celui des dix ans de son label londonien, Sofrito, avec lequel il explore, au fur et à mesure des évènements et des sorties, « différents styles, d’enregistrements précurseurs afro-cubain jusqu’à la techno expérimentale congolaise ». Depuis, celui qui est devenu une référence sur le terrain de la réédition, s’est lancé dans un nouveau projet. Il s’agit du label Nouvelle Ambiance, qui lui permet de « faire des recherches plus profondes avec des produits un peu plus élaborés que sur Sofrito qui, lui, est davantage pour le dancefloor ». Fin 2017, Nouvelle Ambiance célèbre sa première sortie, un maxi qui compile quatre morceaux de rumba, de disco et de new wave du chanteur congolais Albert Siassia et de son groupe Tokobina. Un préambule à une compilation qui voit aujourd’hui le jour, du même nom que le label, avec trois points d’exclamation en plus.
Nouvelle Ambiance !!! célèbre en dix morceaux – sélectionnés par Hugo Mendez et Nico Skliris – la diversité et la richesse de la scène musicale parisienne des années 80. Une époque où les échanges culturels entre la capitale française et les plus grandes villes francophones africaines, comme Kinshasa, Brazzaville, Abidjan, Dakar ou Douala, ont permis l’avènement d’un son unique. Dans cette compilation – qui s’accompagne d’un livret rempli d’interviews et de clichés inédits du photographe Bill Akwa Bétotè – on retrouve Antoinette Konan, Jacques Loubelo, Tutu ou encore Nicky M’Poto. Des artistes qui, dès la fin des années 70, multiplient les passages dans les studios parisiens.
Après deux ans de recherches et de digging, Hugo Mendez et Nico Skliris parviennent à retranscrire l’effervescence d’une époque. Eux n’aiment pas le terme « d’investigation ». Ils lui préfèrent celui de « célébration ». Entretien.
Quel a été le point de départ du projet Nouvelle Ambiance !!! ?
Hugo Mendez : Avec Nico, on achète des disques et on fait de la musique. On s’est rendu compte que, dans les années 80, beaucoup de disques étaient enregistrés dans les mêmes studios, par les mêmes artistes. Ça a débouché sur une investigation pour comprendre quelles étaient les liens entre ces disques, puisqu’il y avait quand même un son propre à Paris. On a choisi douze morceaux qui sont un peu atypiques. Il y a beaucoup de musique congolaise, du Cameroun, des choses un peu plus expérimentales, et même s’il y en avait beaucoup à l’époque, ce n’est pas que du soukous (un style originaire du Zaïre, qui prend ses racines dans la rumba cubaine des 50’s et qui mélange le rythme kwasa kwasa avec le zouk et la rumba congolaise, NDLR).
Pas une enquête, mais plutôt une « célébration »
Qu’est-ce qui a motivé cette « enquête » ?
Hugo Mendez : Ce n’était pas une enquête ou quelque chose d’académique, mais plutôt une « célébration ». En Angleterre, les gens parlent de la scène londonienne des années 80. Aux États-Unis, on parle de la scène hip-hop de New York, ou de la scène house de Chicago. Mais on ne parle pas de Paris.
Est-ce qu’on pouvait parler d’une scène à Paris ?
Hugo Mendez : Il y a une scène parisienne de boîtes, de DJ, de groupes, et il y a aussi une scène studio. Beaucoup de disques ont été fait ici, à Paris, mais fabriqués et vendus ailleurs. Il y avait des gens qui cherchaient un son, mais qui n’avaient pas forcément accès à des studios très performants. C’était par exemple le cas au Congo Brazzaville, ou à Kinshasa. À Paris, une économie s’est construite autour des studios avec des musiciens basés ici, qui venaient de partout dans le monde, et des producteurs qui cherchaient un certain son, et qui pour ça, invitaient des chanteurs à passer trois jours à Paris. Eux jouaient ensemble, avec Michel Alibo par exemple. C’est ce qu’on a appelé une équipe de « requins studio ».
On ne peut pas parler d’une scène comme celle de la house de Chicago, mais c’était plutôt l’idée de studios comme Motown (à Détroit, dans le Michigan) ou Studio One (à Kingston, en Jamaïque), où c’était toujours les mêmes musiciens qui jouaient sur les morceaux.
Comment s’est faite la sélection des douze morceaux présents sur la compilation ?
Hugo Mendez : On a essayé de montrer la diversité et la richesse de la musique. Il y a des stars, des gens un peu moins connus. Le but n’était pas de trouver des raretés, c’était d’avoir des morceaux différents. Il y en a certains qui ont été fait pour être mixés dans des clubs, donc ils ne se sont pas trop vendus parce que c’était des outils de DJ. Il y a aussi des chansons qui ont très bien marché au Congo mais pas à Paris, ou l’inverse. Il y a des choses très pures au niveau du style, comme par exemple la rumba de l’Empire Bakuba – une rumba pure et très longue – et à côté de ça, il y a des morceaux hybrides avec des touches antillaises, américaines, africaines. L’idée c’était de montrer que tout se mélangeait à l’époque.
Dans le livret qui accompagne la compilation, les photos nous plongent dans différents lieux parisiens. Est-ce que ces lieux, eux aussi, ont joué un rôle dans l’émergence de cette scène ?
Hugo Mendez : Oui sûrement, il y avait des lieux importants. Plusieurs photos ont été prises pendant des soirées Black Feeling, organisées par Michel VII. Lui faisait des soirées au Rex Club, partout. Il a fait beaucoup de choses pour réunir la musique, en organisant des soirées de hip-hop et de musique congolaise, par exemple. Il y avait aussi des grosses boîtes où beaucoup de clips vidéos et d’émissions de télé françaises et africaines étaient tournés.
Est-ce qu’il y a un morceau qui raconte particulièrement bien l’idée de cette compilation ?
Hugo Mendez : Le morceau d’Antoinette Konan. C’est une chanteuse qui était très connue en Côte d’Ivoire – et qui l’est toujours d’ailleurs. Elle joue de la musique baoulée. Elle voulait faire des choses un peu plus modernes. Elle a donc fait appel à des musiciens à Paris, et a enregistré au Studio Caroline, qui était alors dans le XIXe arrondissement, avec des musiciens comme Denis Hekimian et toute l’équipe du son de l’époque. C’est là où elle a mélangé l’aoko (l’instrument de percussion qu’elle joue), avec tous les sons de batterie électronique, et de la basse un peu boogie. C’était en 1984 à Paris. Elle venait passer trois, quatre jours. Ça représente vraiment le mélange qui était fait à Paris.
Comment cette scène a-t-elle évoluée dans le temps ?
Hugo Mendez : Il y a toujours eu une scène pour la musique live africaine à Paris, ça ne s’est jamais arrêté. Mais ce qui a peut-être changé, c’est le mélange de musiques dans les boîtes. La musique n’était pas jouée que pendant les soirées africaines. À l’époque, on la retrouvait aussi dans les soirées où ils jouaient de la salsa, du zouk, du hip-hop, ça faisait partie du mélange. Aujourd’hui, il y a des morceaux afro-house, mais ce n’est pas la même chose. À l’époque, tu sortais le vendredi soir et tu entendais plusieurs styles différents. Maintenant, c’est plus pareil.
La compilation Nouvelle Ambiance !!! est disponible en intégralité sur Bandcamp et sort en format physique cette semaine dans les disquaires.
Visuel de couverture : © Bill Akwa Bétotè