La très grande saga de Radio Nova racontée par celles et ceux qui l’ont vécue et ambiancée à l’antenne ou dans la savane.
« Oh serre-moi fort, compère. » Le refrain de cette Danse montagnarde (et polissonne) de Maria Tănase, chroniquée dans Néo-Géo par Rémy Kolpa Kopoul, pouvait servir de mantra pour nous consoler de cette année difficile. Quelle ironie que le ConneXionneur en chef ait mentionné « l’enterrement inimaginable » de cette chanteuse à Bucarest, où se pressèrent des centaines de milliers de Roumain·e·s… Nous avions besoin de nous serrer fort, oui, le 11 janvier, sur la place de la République à Paris comme aux quatre cents coins de l’Hexagone, afin d’honorer la mémoire des victimes des terroristes qui ensanglantèrent Charlie Hebdo, Montrouge et l’Hyper-Casher de la Porte de Vincennes au nom de Daech. À l’antenne, nous diffusons des lectures et des morceaux qui invitent à réfléchir – en se marrant, si possible – sur la liberté d’expression ; l’écrivaine Axl Cendres partage ainsi une lettre de sa maman, Hafida, qui pleure de colère en se souvenant de la décennie noire en Algérie, quand les islamistes semaient déjà la terreur. Mi-mars, un attentat frappe le musée du Bardo, à Tunis. Et des bombes explosent à Beyrouth, à Bamako, au Koweït, dans l’Isère… ou n’explosent pas (de justesse) dans le Thalys. Puis d’autres fous de dieu, aigles de la mort et du métal des kalachnikovs, se faut sauter le vendredi 13 novembre, d’abord à proximité du Stade de France, tandis que leurs complices mitraillent des terrasses avant d’interrompre un concert des Eagles of Death Metal au Bataclan. Des centaines de « lettres à Paris » nous parviennent, lues toute la semaine à l’antenne, sur le modèle des « lettres à Elodie » (Font), qui présente désormais la matinale avec Thierry. Se serrer fort, encore.
Entre-temps, le cœur de Rémy cesse de danser la batucada au lendemain d’une mille-et-unième fête à Brest, où il mixait, à 66 ans. Lui qui venait à peine de clore à Montreuil les représentations d’une comédie musicale Karioka sur l’âge d’or du Brésil auquel il rêvait depuis trente ans… Ce dandy électropical en chaussures de chantier, à la voix de canard enroué (« madrée », disait-il, qui signifie selon le Larousse : « rusée, sous des dehors bonhommes »). Ce pilier du premier Libé, qui fut « mao un jour, mambo toujours », certifié fan de fromages, de champagne et de calembours, et surtout « marié avec la musique ». Permettez de citer cette profession de foi, qui résume quasiment notre radio : « Qu’est-ce qu’un chanteur de tango a de commun avec un musicien new wave ? Qu’est-ce un vieux chanteur de bossa nova a de commun avec un jeune DJ ? Ce sont des mondes séparés qu’il faut brasser ensemble, parce qu’ils ont tout intérêt à se connaître. C’est le mélange des âges et des cultures. Le Grand Mix. Et j’aime bien touiller. »
Les ami·e·s de Rémy se réunissent alors au Jamel Comedy Club, pour sept heures de veillée en direct, en compagnie de Catherine Ringer, Miossec, Rachid Taha, Arthur H, Yael Naim, Ray Lema, Rocé, Laurent Garnier, Hindi Zahra, Mayra Andrade… QLF, Que La Famille, comme dit PNL. Se serrer fort, encore. À Lyon, les afro-kiffeurs de Vaudou Game nous incitent à répéter que nous ne sommes « pas contentes ». On se remonte le moral avec la soul sophistiquée de D’Angelo, black messiah de retour après quatorze ans d’absence, ou en regardant Narcos et ce générique si doux de notre chouchou Rodrigo Amarante, sur la vie de Pablo Escobar – mais cela fait encore trop de fusillades. Reste cette blague recueillie par la journaliste biélorusse Svetlana Alexievitch (lauréate 2015 du Nobel de littérature), qui aurait sans doute beaucoup plu à Rémy, notre si beau chauve né après-guerre d’une mère catholique du Poitou et d’un père juif d’origine russo-lituanienne : « Un officier en permission revient au pays. Il veut se faire couper les cheveux. La coiffeuse l’installe dans un fauteuil.
– Comment ça se passe en Afghanistan ?
– Ça se normalise…
Quelques minutes après :
– Comment ça se passe en Afghanistan ?
– Ça se normalise…
Encore quelques temps après :
– Comment ça se passe en Afghanistan ?
– Ça se normalise…
Il paye, il s’en va. Les autres coiffeurs demandent à la fille :
– Qu’est-ce qui t’a pris de le martyriser ?
– À chaque fois que je lui parlais de l’Afghanistan, ses cheveux se dressaient sur la tête. C’était plus facile à couper. »
Réalisation, mixage : Malo Williams.