La très grande saga de Radio Nova racontée par celles et ceux qui l’ont vécue et ambiancée à l’antenne ou dans la savane.
« Ça ne s’arrêtera jamais. » Quelques minutes avant minuit, à la veille des 35 ans de Radio Nova, un olibrius passablement surexcité livre une belle démonstration d’optimisme… lors d’une année mouvementée. En 2016, la musique connaît de grandes pertes : David Bowie, Leonard Cohen, Pierre Barouh, Alan Vega, George Michael (oui), Prince Buster et surtout, Prince tout court ; Sa Majesté Roger Nelson, dont le premier concert parisien au Palace en 1981 était déjà sponsorisé par Actuel, et auquel David Blot rend de nombreux hommages teintés de pluie pourpre dans son Nova Club bientôt coanimé avec Sophie Marchand. C’est aussi l’hécatombe chez les Michel : Rocard, Butor, Delpech, Galabru et Tournier rejoignent les limbes du Pacifique. Chagrin également pour les aficionados de Michael Cimino, de Fidel Castro, de Gotlib, de la Princesse Leia ou de Mohamed Ali, que la Faucheuse met K.-O.
Tous ces gens loupent le vertigineux nouvel album de Christophe (Les vestiges du chaos), le Nobel pour Dylan, les premières chansons de Catastrophe ou de Kate Tempest, la mise en marche vers le pouvoir de ce jeune banquier « ni de gauche ni de droite » – c’est-à-dire de droite – nommé Emmanuel Macron, qui vient de quitter le ministère de l’Économie. Ou encore Nuit Debout, ce mouvement antilibéral hétéroclite né de la contestation d’une énième loi travail, qui occupa trois mois la place de la République à Paris, et qu’Armel Hemme, Marion Armengod, Guillaume Girault et Julien Goetz couvrent en direct, une semaine, via des reportages ou des émissions in situ. Pendant ce temps, sous les drapeaux noirs de Daech ou d’Al-Qaïda, le chaos frappe encore : à Nice, à Jakarta, à Bruxelles, à Bagdad, à Ouagadougou, au Pakistan, en Allemagne, au Bangladesh, en Côte d’Ivoire, dans un mariage turc, une église de Seine-Maritime ou une discothèque LGBT de Floride. Ajoutez à ceci l’élection-surprise de Donald Trump aux USA après des mois d’outrances, le Brexit, des débats stériles sur la question du burkini et l’empire médiatique de Vincent Bolloré dont l’influence ne cesse de s’étendre… l’ambiance est lourde.
Dans les couloirs de Nova, on s’inquiète pas mal. Un banquier de gauche, Matthieu Pigasse, ancien conseiller de Dominique Strauss-Kahn et de Laurent Fabius au ministère de l’Économie, a racheté à titre personnel, en 2015, notre antenne. À son sujet, le journal Le Monde a écrit : « La vente du PSG, c’est lui. La renégociation de la dette irakienne, c’est lui. La nationalisation du gaz bolivien pour le compte du président Evo Morales, c’est lui. La recherche d’une sortie de crise pour Libération, c’est encore lui. Matthieu Pigasse est le banquier d’affaires le plus recherché du moment. Celui que les patrons du CAC 40 invitent à leur table avant de lancer une OPA. » Moins de dix ans après cet article, il prend le contrôle du journal Le Monde avec Pierre Bergé et Xavier Niel. Puis ce lecteur de Cioran et de Michaux, actionnaire de l’Obs, de Télérama, de Courrier international ou de Vice, propriétaire du festival Rock en Seine et président des Eurockéennes de Belfort, a fondé Les Nouvelles Éditions Indépendantes (LNEI), qui abritent Les Inrockuptibles, le webzine féministe Cheek. Et, donc, Nova, ses vingt-six fréquences et ses soixante-cinq employé·e·s. Qu’allions-nous devenir, au sein du groupe ? Quels étaient les projets de ce fan de The Clash en costume Dior ?
« Je vous garantis une liberté éditoriale totale, sans intervention de ma part. Vous avez ma parole », nous promet-il, lors de la première rencontre avec l’équipe. Cette promesse est, jusqu’à présent, tenue. Matthieu Pigasse nomme alors Bernard Zekri (ex-reporter d’Actuel, coproducteur de Groland), directeur général de LNEI, puis de notre radio. Nos deux amiraux, Bruno Delport et Marc H’Limi, quitteront progressivement le navire. Deux brillants esprits venus de France Culture, Thomas Baumgartner et Aurélie Sfez, sont invités à réfléchir à un nouveau Nova, avec la volonté de conserver l’équipe en place. Les métamorphoses ne tardent pas à apparaître, dès la rentrée 2016, avec une débauche de moyens inédite. Deux voix historiques, Édouard Baer et Ariel Wizman, font leur retour (séparément). Sfez imagine une émission post-situationniste avec des musicien·ne·s, À la dérive, au gré de leurs désirs déambulatoires. Des journalistes des Inrocks se voient confier des programmes le week-end, telle Géraldine Sarratia, qui interroge ses invité·e·s sur le genre. Une étrange émission politique, Éléments de langage, que les auditeurs déplorent avec entrain, est animée par les deux reporters du Monde qui viennent de publier ce livre d’entretiens ayant peut-être coûté sa réélection à François Hollande. Un comique nerveux, Yassine Bellatar, débarque en bande pour une demi-heure de sketchs quotidiens sous le titre Les 30 Glorieuses. L’équipe du web grossit, investit pour de bon les réseaux sociaux et Nova fait des vidéos, quoi. Comme le fredonnent Polo & Pan depuis leur Canopée : « Jungle sauvage, ouvre tes bras / Enfants naïfs ou hors-la-loi / Les quilles plantées dans un ruisseau / Écoute chanter ce drôle d’oiseau / Il nous invite un peu plus haut / À partager nos idéaux. »
Réalisation, mixage : Malo Williams.