La très grande saga de Radio Nova racontée par celles et ceux qui l’ont vécue et ambiancée à l’antenne ou dans la savane.
« Tous les matins, on a une mission. Trouver la gaieté au milieu des raisons de désespérer. La beauté au milieu des laideurs. La gentillesse au milieu des visages fermés. Les caresses au milieu des griffes. La tendresse au milieu des gifles. L’ouverture au milieu des fermetures. Si vous acceptez cette mission, la journée sera magnifique. Si vous la refusez, allez vous recoucher tout de suite ! » Pendant deux ans, nos matinées furent piratées par une troupe de joyeux lurons ayant en commun l’absolue célébration de l’instant, de la fulgurance surréaliste, du happening ordinaire, du nawak en bandoulière, avec une sorte de « refus de l’actualité ». Autour d’Édouard Baer, qui refuse généralement de lire le conducteur de l’émission préparé par Eugénie Poumaillou, d’éternels complices s’agitent et rebondissent, tels Atmen Kelif, François Rollin, Jack Souvant, Alexandre Astier ou le guitariste bordelais Tito el Francés. D’une saison à l’autre de Plus près de toi, quatre journalistes – Marie Bonnisseau, Camille Diao, Marie Misset et notre rédacteur en chef, Thomas Baumgartner, qui salue « le sens du direct, au bord du précipice » de l’acteur-animateur – essayent de mettre un peu de sens dans ce carrefour giratoire des fantaisies caféinées, d’interviewer des invité·e·s entre des jeux sans queue ni tête ni bras ni gambettes, ou les personnages inventés par Arnaud Aymard, aussi fictifs que les emplois de Pénélope Fillon ; immortel « Ammoniacal », mi-homme mi-pingouin mi-chiffon, dont les mésaventures « dans une jungle de saucisses » inspireront à Katerine une tranche de sa chanson Stone avec moi.
L’émission, forcément inégale d’un jour à l’autre puisque viscéralement dépendante de l’énergie de ses héros, part se revitaliser à Brest, à Florange, à Tunis, à Montréal, à la romaine Villa Médicis ou station Châtelet-les-Halles. Elle prend aussi le risque de réveiller par téléphone un « monument » : Jean-Paul Gaultier, Marina Foïs, Alain Chabat, Yolande Moreau ou… Claire Chazal. Filmées par Nicolas Lartigue, les « entrées » d’Édouard, au cours desquelles l’histrion décoiffé monologue avec l’emphase de Léo Ferré sur « ceux qui se lèvent de mauvaise humeur, contrariés, renfrognés, froissés, les yeux en dedans, le cœur cadenassé », ou « ceux qui sortent le lundi soir, qui sont quand même bien vicieux », deviennent virales. Et deux fois par semaine à la fin du show, Ruddy Aboab organise des concerts privés sous la verrière de Nova, au casting exceptionnel : Angèle et Jorja Smith (pour leur première radio française), la fanfare allemande Meute, Ben Harper, Sofiane Saidi & Mazada, Toots & The Maytals, Arto Lindsay, Altin Gün, Acid Arab, Alain Souchon ou encore Rone avec l’écrivain d’anticipation Alain Damasio.
Pendant ce temps, en 2017, la dénonciation des agressions sexuelles et de toutes les formes de domination du patriarcat ne sont plus de la science-fiction. Les hashtags #BalanceTonPorc et, au niveau mondial, #MeToo, fédèrent une libération historique de la parole et de l’écoute, portée par les révélations de l’affaire Harvey Weinstein, prédateur hollywoodien qui sera condamné à vingt-trois ans de prison ferme. Toutes vêtues de noir, cinq femmes ayant « brisé le silence » sont désignées « personnalités de l’année » en couverture du magazine Time. Une révolution féministe commence, entérinant dans les consciences un principe de consentement perpétuel et la lutte contre le sexisme ordinaire, les inégalités économiques ou les comportements bah ouais inappropriés.
Et puisque tout est lié, ce sont presque toujours des hommes aussi qui assassinent au nom de la religion. De nouveaux attentats sèment la terreur à Bagdad, à Londres, à Manhattan, à Istanbul, à Las Vegas comme à Levallois-Perret, à Orly, à Stains, en Syrie, au Mali, en Afghanistan, en Egypte, en Somalie, lors d’un concert d’Ariana Grande, dans un sanctuaire soufi, sur les Champs-Elysées, au carrousel du Louvre ou en gare de Marseille, maintenant la France en état d’urgence. Ailleurs, parfois, heureusement, « le calme c’est calme et le soleil dore les écorces d’un reflet gentil et je souris à une fleur qui me tourne le dos », comme le déclame notre poète provençal Jean-Noël Mistral. Calme comme les entretiens menés par un fort sympathique journaliste échappé de France Culture, Xavier de la Porte, qui déploie sa pensée chaque fin d’après-midi dans L’Heure de pointe, en alignant les pointures : Baptiste Morizot, Marion Montaigne, Greil Marcus, Oliver Stone, Fabrice Arfi, Titiou Lecoq ou l’économiste grec et très éphémère ministre des Finances Yánis Varoufákis. Mets du respect sur son nom. La même année que le retour de Twin Peaks, le merveilleux Coco, produit par les studios Pixar, explique aux enfants le fonctionnement folklorique du pays des morts, où viennent d’atterrir Jean Rochefort, Jiro Taniguchi, Jean-Christophe Averty et, je ne sais pas si vous le connaissiez, Johnny. Le vendredi soir, Ariel Wizman provoque des rencontres à forte variation de notoriété dans Connu / inconnu, sur une antenne qui préfère jouer le premier Malik Djoudi plutôt que Despacito, ou pousser le nouveau Biga* Ranx plutôt que Basique d’OrelSan. C’est simple. C’est notre mission. Et ça ne pose pas de problemos.
Réalisation, mixage : Malo Williams.