Pour les 90 ans de la naissance de Nina Simone, Bintou Simporé lui consacrait une émission spéciale dimanche dernier sur Radio Nova.
Néo Géo Nova s’ouvrait par une correspondance de Véronique Mortaigne, immergée dans le carnaval de Rio. Cette dernière a pu joindre la chanteuse brésilienne Maria Bethania qui nous a raconté sa collaboration avec la chanteuse et pianiste afro-américaine. Maria Bethania y raconte notamment l’admiration qu’elle portait à Nina Simone et le contexte dans lequel elle a sollicité la chanteuse et pianiste pour une participation à son album célébrant ses 25 ans de carrière.
“Bonjour,
Ce qui s’est passé
Voici ce qui s’est passé : depuis toute petite, et puis quand je suis allée étudier à Salvador à 14 ans, j’ai eu accès à beaucoup de chanteuses de jazz et de blues. Ma préférée était Billie Holiday. J’adorais aussi Mahalia Jackson et Nina Simone. Bien que je ne parle pas l’anglais, j’ai toujours eu une énorme admiration pour la voix extraordinaire de Nina Simone, pour ce qu’elle diffuse, pour la beauté qu’elle dégage quand elle chante en s’accompagnant de son piano, mi classique, mi populaire, extraordinaire, dramatique, si semblable à ce que j’aime faire sur scène.
Une occasion saisie
J’ai eu la chance de croiser son impresario alors que je me produisais en Belgique. Il avait aimé mon spectacle, il aimait mon travail, et m’a dit qu’il gérait la carrière de Nina, en tout cas à ce moment-là.
Il avait su mon admiration pour Nina Simone, et il me demanda alors si je désirais la connaître. Je lui ai dit, “Bon, la rencontrer personnellement, pas forcément, mais j’adorerais qu’elle chante une chanson composée spécialement pour nous deux, j’aimerais qu’elle bâtisse un dialogue musical avec moi.”
Un rêve
J’ai dit ça en rêvassant, mon attitude était : voici mon rêve. Quelque temps plus tard, il m’appelle et me dit : « Nina a accepté d’enregistrer avec vous ». Alors, j’ai demandé à Caetano, mon frère, Caetano Veloso, qui est, comme vous le savez, et comme le monde le sait, un des plus grands compositeurs brésiliens, une chanson. Je lui ai raconté cette histoire assez magique et je lui ai demandé d’écrire.
Il venait d’assister à un concert de Nina et avait eu une sensation très forte de cette présence qu’elle avait, jouant du piano, ce regard très perdu, loin de tout ce qui se passait autour d’elle, un regard unique. Il l’a écrite et j’ai trouvé cette chanson très belle, je l’ai envoyée. Caetano a habité Londres, comme vous le savez, à l’époque de la dictature militaire ici au Brésil, il a été exilé. Il parle, il écrit, et il compose en anglais. Elle a accepté, mon chef d’orchestre est allé à Londres, j’ai enregistré au Brésil, je n’étais pas avec elle.
Quand l’enregistrement a été terminé, qu’elle a eu fini de placer sa voix, mon chef d’orchestre m’a appelée, j’étais anxieuse. Il m’a dit qu’elle avait fait la voix définitive, qu’elle avait tout choisi, mais qu’elle avait une question, celle de ses royalties !
Imaginez l’histoire ! Comme si j’allais, moi, la payer moi-même, alors que c’était une histoire d’échanges entre maisons de disques, avec son agent, avec des contrats, etc. Mais j’ai trouvé beau qu’elle pose cette question, avec sa personnalité, son autorité, avec une telle notoriété. Bref, il y avait là tout ce que j’entends dans sa voix. Je continue d’admirer Nina avec la même profondeur, la même grandeur.
Prête à chanter, Pronta pra cantar
J’ai chanté cette chanson, sur scène, je l’ai chantée en ouverture de mon show Claros Breus, ici à Rio, dans une boîte, le Manouche, alors que j’avais décidé, après toutes ces années passées à chanter devant des publics gigantesques, beaux, chaleureux, de revenir dans un club de 100 personnes, où j’ai donc créé Claros Breus. J’ouvrais mon récital avec cette chanson, que je trouve très belle. L’enregistrement de Nina est magnifique, un peu mal lunée, mais la mauvaise humeur, qu’elle a toujours un peu, fait partie d’elle. Il y a cette douleur profonde de la négritude et la beauté extraordinaire de sa musique, c’est très très émouvant.
Je chante cette chanson, oui, et si Dieu le veut, quand je vais fêter mes 60 ans de carrière, et j’en suis à 58, je chanterais à nouveau cette chanson parce qu’elle a un sens très particulier pour moi, pas seulement à cause de la participation de Nina, mais aussi parce que Caetano l’a écrite spécialement, en observant mon travail et celui de Nina. Je trouve que tout est dit dans les premiers vers de la chanson, dans son début:
« Je suis au sommet de la montagne/ Je ne ris pas, je ne me plains pas/ Je fixe le grand abîme/ Mon désir est une aile suspendue dans l’air/ Je suis prête à chanter »
Voilà,
Bisous, bisous”
(Traduction de Véronique Mortaigne)
Et pour réécouter le Vent d’Ailleurs, la carte postale sonore de Véronique Mortaigne envoyée depuis Rio de Janeiro :