Il y a Booba et Kaaris, et puis il y a ScarJo et Mohammed Ben Salmane.
C’est un article du Guardian, publié la semaine passée, qui a révélé l’affaire. L’actrice Scarlett Johansson, dont on retient les nombreuses apparitions dans les films de Woody Allen comme Match Point, et plus récemment, son rôle de Veuve Noire dans la série Marvel Avengers, aurait décliné un rôle dans un film de Ridley Scott, s’il était financé par le prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salmane.
Les raisons seraient politiques. L’actrice aurait refusé tout net d’être associée aux agissements du Royaume saoudien, qui « entretient la guerre au Yémen » et « met les femmes en prison ». Ces propos sont rapportés au quotidien anglais par la photo-journaliste américaine Lynsey Addario. C’est elle, le sujet de ce biopic. Véritable héroïne des temps modernes, cette reporter de guerre a couvert de nombreux conflits, notamment en Libye, où elle a été enlevée et agressée sexuellement par les forces du régime Kadhafi. En 2015, elle racontait sa carrière dans un livre, It’s what I do (« C’est ce que je fais »), autobiographie qui va donc être adaptée à Hollywood.
ScarJo 1 – Arabie saoudite 0
Et c’est bien Scarlett Johansson qui en tiendra le premier rôle. « ScarJo » a gagné la bataille d’influence, et l’Arabie Saoudite n’aura rien à voir dans ce tournage. Dommage, pour Mohammed Ben Salmane, qui se serait bien racheté une image, en pleine affaire Khashoggi. Ce journaliste saoudien, ennemi du régime, exilé, a vraisemblablement été tué et démembré dans le consulat saoudien en Turquie, le 2 octobre dernier. Les remous diplomatiques de cette affaire n’en finissent plus de déstabiliser les relations américano-saoudiennes, et atteignent même Hollywood.
« Révolution culturelle » saoudienne
Il faut dire que depuis quelques années, l’argent saoudien coule à flots dans l’industrie cinématographique américaine. Mohammed Ben Salman est un réformateur, qui cherche à diversifier l’économie nationale. Pour ce faire, il a besoin d’un pays plus ouvert, religieusement (il prône un islam plus tolérant), socialement (il a autorisé les femmes à conduire cette année), et culturellement. MBS, de son acronyme, a donc lancé une grande « Révolution Culturelle », à horizon 2030. Et l’une de ses premières décisions, a été de ré-autoriser les cinémas, interdits dans le pays depuis 35 ans.
L’industrie cinématographique saoudienne est toute neuve, et elle fait de l’oeil à Hollywood pour assurer son développement. Gagner en influence aux États-Unis (à grand renfort de milliards de dollars) lui permettra non seulement de se faire une réputation, mais aussi de faire diffuser les films dans les cinémas tout neufs de Riyad.
Hollywood dans la tourmente
Cependant, ces dernières semaines, l’implication évidente du régime saoudien dans la mort de Jamal Khashoggi a lancé un véritable débat de société aux États-Unis. Citoyens comme acteurs hollywoodiens remettent en effet en cause l’alliance politique entre leur pays et celui de Mohammed Ben Salmane, notamment dans la guerre au Yémen, où Trump (et Obama avant lui) soutient le royaume contre la République Islamique d’Iran. Le conflit est en passe de provoquer l’une des plus grandes crises humanitaires de notre époque.
De quoi mettre l’industrie hollywoodienne dans la tourmente, puisque malgré des contrats aux montants faramineux, plus personne n’a réellement l’envie d’associer publiquement son image à celle d’un régime à ce point répressif. Des contrats signés jusqu’ici dans une indifférence relative, à l’image de celui qui devait lier Endeavour, l’une des plus grosses agences de talents américains et le royaume pour 400 millions de dollars, sont progressivement annulés.
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