Petite révolution et grande symbolique dans le milieu très conservateur de la danse classique anglaise : les chaussons de danse s’adapteront désormais aux différentes couleurs de peau.
La Chronique Loin, c’est tous les lundi à 8h45 dans Pour que tu rêves encore, la matinale de Nova. Un regard culturel sur une actu qui vient d’ailleurs, par Clémentine Spiler.
Depuis 200 ans, les pointes des danseuses classiques sont commercialisées en rose. Un rose qui est censé être une couleur « chair », puisque le but est que le chausson se fonde au maximum avec le pied, pour lui donner, de loin, cette allure élancée. Seulement voilà, toutes les danseuses ne sont pas blanches. Un fait qui semble avoir échappé à cette industrie très niche, puisqu’à Londres, la mythique marque Freed of London vient pour la première fois de commercialiser des pointes marrons et ocres, pour correspondre à d’autres types de peaux.
Comme le relate le New York Times, jusqu’ici, les danseuses classiques de racisées teignaient elles-mêmes leurs chaussons. Un investissement de temps et d’argent non négligeable, sachant qu’une danseuse professionnelle use en moyenne deux ou trois paires par semaine. Pourtant, il leur fallait choisir la débrouille, à coup de teinture ou même de fond de teint, mélangés à un produit fixateur. Le phénomène est tellement répandu que Youtube regorge de tutos pour apprendre à bien teindre ses pointes, une technique qui s’appelle en anglais le « pancaking ».
Un enjeu de diversité
Cette innovation a été pensée par la marque en partenariat avec une compagnie de danse anglaise du nom de Ballet Black, qui lutte pour plus de diversité dans la danse classique. Car cette histoire de chaussons n’est qu’un symptôme d’un problème plus grand dans le milieu de la danse classique, en Angleterre comme ailleurs. Les danseuses classiques de racisées se font rares. Cela s’explique par des facteurs socio-économiques (la discipline reste chère et élitiste) mais aussi par un racisme rampant dans ces vieilles maisons.
Des voix dissonantes
En Angleterre, un mouvement militant se développe depuis quelques années. En tête de cortège, la danseuse noire de l’ENB (l’English National Ballet), Precious Adams, a récemment haussé le ton. En septembre, elle a publiquement demandé à ses employeurs de la laisser danser en collants bruns et non roses.
Scandale dans ce petit milieu et dans la presse spécialisée, Precious Adams est bien vite qualifiée de « honte pour la tradition du ballet ». Selon les détracteurs, les ballerines doivent toutes être similaires, seul le rôle principal a le droit de se démarquer. Pourtant, Precious Adams ne demande pas un traitement spécial, mais bien le même que ses collègues, celui d’avoir les jambes de la même couleur que son buste. C’est désormais le cas, puisqu’elle a obtenu un soutien infaillible de la directrice de l’ENB, Tamara Rojo.
Visuel © Getty Images / Olha Khorimarko