Très solide thriller militant, De grandes espérances à un épatant plan social pour le cinéma français.
Il faut avoir les épaules solides pour intituler un film De grandes espérances. Au minimum par la référence au classique éponyme de Dickens. Qui en apparence n’a pas grand-chose à voir avec le nouveau long métrage de Sylvain Desclous, sauf peut-être l’idée de suivre un transfuge de classe. En l’occurrence, une, Madeleine, fille de prolo qui prépare l’ENA, voire a quasiment déjà intégré sa sphère sociale en vivant avec un fils à papa. Un accident qui les implique va bousculer leurs ambitions. À partir d’un principe de thriller psychologique, De grandes espérances vire à une lecture de ce qu’une partie de la classe politique nomme le roman français. Soit une histoire collective, abordée au travers d’une militante qui devient peu Rastignac manipulatrice. Desclous tricotant habilement les ambiguïtés quand la noblesse des idéaux se dissout dans les règles pipées de la conquête du pouvoir. Celui politique, mais aussi celui de l’intime, quand De grandes espérances raconte aussi comment se fomentent les coups bas d’une guerre conjugale. Le véritable suspense de ce film résidant dans ce choix : que faut-il laisser derrière soi, jusqu’où faut-il aller pour pouvoir incarner ses convictions ?
Desclous avait déjà approché ce terrain, l’an dernier, sous un angle documentaire avec La campagne de France, coulisses d’une élection municipale où s’affrontaient outsider improbable et maire aguerri. Curieusement, les armes incisives et la belle part romanesque de la fiction procurent à De grandes espérances, une sensation plus aiguë du réel, quand cette peinture de l’effritement de l’élément humain, dès qu’il se frotte à la mécanique politique, a quelque chose d’éminemment crédible dans ce qu’il exprime, sans manichéisme, de la fragilité de l’éthique. En ne renonçant par ailleurs jamais à combiner très efficaces ressorts narratifs de film de genre et très clair discours engagé (entre autres par des dialogues cinglants ou de phénoménales séquences se déroulant dans une usine menacée de plan social), De grandes espérances propose, comme son héroïne jusqu’au boutiste, un programme de réforme d’un cinéma français peu téméraire quand il s’agit de scruter les complexités de la morale ou mettre ainsi les mains dans le cambouis. Quitte à s’intéresser, comme ici, à la manière dont on peut se les salir quand on veut changer le monde.
En salles le 22 mars.