Depuis janvier et le début des manifestations contre la réforme des retraites, nous sommes nombreuses et nombreux ici à la rédaction à traîner notre micro, nos valeurs et nos combats en manif. Et le plus souvent, nous le faisons en chantant. D’où viennent ces chants qui, depuis qu’en France les foules se soulèvent, ont habillé les révoltes ?
Vous les chantez en manifs. Vous les écrivez parfois sur des pancartes. Du Chant des Partisans à On est là, les chants de lutte ont toujours marqué l’histoire des révoltes. « Les luttes sociales ne sont pas que des passions tristes. Ces chants, c’est aussi une façon de ne pas se limiter à des slogans et d’apporter un côté festif et joyeux », clame Véronique Servat. Cette historienne a, avec d’autres, sorti le livre En lutte ! Carnets de chants qui répertorie les chants de lutte qui ont habillé les combats.
Affirmer sa présence et sa force
Ces chants sont la substance même des luttes. Certains, d’ailleurs, se démarquent par leur intemporalité et permettent un travail de mémoire : le Chant des canuts, chant de lutte ouvrière, a été écrit 60 ans après les événements par Aristide Bruant à la fin du 19ᵉ siècle.
Tous ces chants ont un point commun : les mélodies se retiennent facilement, les mots sont forts, puissants ou corrosifs. Chanter est un exutoire – ces chants, une arme de mobilisation.
La chanson Debout les femmes – hymne du Mouvement de libération des femmes (MLF) – illustre parfaitement cette clarté. Ici, le but n’est pas d’écrire une jolie chanson, mais bien d’affirmer sa présence et sa force en tant que groupe social : « Debout femmes esclaves / Et brisons nos entraves / Debout, debout, debout ». Objectif, aussi : hériter de ces chants et les transmettre au fil de l’histoire… Voire les réinventer – à ce titre, vous avez difficilement pu passer à côté de Bella Ciao version Casa de Papel ou Vitaa et Slimane.
D’ailleurs, la chanson de lutte détourne parfois des chansons plus populaires, comme lorsque les Gilets Jaunes se sont emparés de vers de Résiste de France Gall.
Des hymnes qui traversent le temps
Surtout, il y a ceux qui habillent de nombreuses luttes – encore aujourd’hui. Le Chant des Partisans, sublime chant de la libération des résistants de la Seconde Guerre mondiale, est toujours entonné en manifs. L’Internationale, née en marge de la Commune de Paris en 1871, aussi. Ils restent une arme de mobilisation… et soudent le collectif. « À partir du moment où les inégalités persistent, les chants de lutte gardent leur puissance », constate Véronique Servat.
Et d’autres s’inventent. En témoigne le chant On est là, popularisé par le mouvement des Gilets Jaunes, titre inspiré de la chanson italienne Che Sara de Ricchi & Poveri, d’abord chanté dans les stades avant les cortèges.
Reste que les chants de lutte n’ont pas toujours été destinés à l’être. Balance ton Quoi d’Angèle ou La Grenade de Clara Luciani habillent désormais les manifestations féministes, par leurs paroles. Yéké Yéké de Mory Kanté ou Freed From Desire de Gala par leurs rythmes.
Les grandes stars de l’actuelle mobilisation de la réforme des retraites, eux, s’appellent Alternatiba Paris, la branche francilienne de ce mouvement pour le climat et la justice sociale (que vous pouvez entendre chaque semaine dans Un Nova jour se lève). Exposés sur leur camion, un musicien et des danseurs font frétiller le cortège avec un DJ set techno léché et terriblement fédérateur – aux prochaines manifs, on vous conseille d’aller là.
Un article d’Angèle Chatelier, bien aidée par les recherches de Guillaume Duvivier.