La chronique de Jean Rouzaud.
Avec son habileté habituelle, Michel Houellebecq nous livre sa dernière cuvée, au goût amer très prononcé, titrée Sérotonine, un neurotransmetteur (synthétisé par certains neurones) susceptible d’intervenir dans le vieillissement, l’alcoolisme, l’agressivité, et aussi d’agir sur la souffrance et la dépression.
En effet, la descente aux enfers d’un garçon qui lui ressemble, le récit de sa vie et de ses aventures amoureuses désespérantes, conduit le lecteur -mi-écoeuré, mi-déprimé – vers un abime de tristesse… Pari réussi, si l’auteur nous contait une fable morale sur la désespérance de l’homme d’aujourd’hui.
Houellebecq, prophète d’une apocalypse annoncée
Une sorte de catalogue des malheurs du monde, et particulièrement de son double inadapté, mais aussi des masses laborieuses, à bout de stress et d’insatisfaction (ici la révolte des agriculteurs martyrs de la mondialisation et des manipulations).
Comme dans Plateforme avec les attentats sur touristes, ou Soumission et l’avènement d’islamistes troubles, l’auteur se ferait le prophète d’une apocalypse annoncée.
L’amour désabusé, impossible, vache
Houellebecq avait parlé d’un livre sur l’amour… C’est fait, mais en creux : l’amour vache, désabusé, impossible, le malentendu hommes-femmes porté à son paroxysme : dans la banalité quotidienne ou la cruauté exceptionnelle. Les femmes, d’ailleurs, et comme les homosexuels, en prennent pour leur grade.
Comme je l’avais décrit sur sa technique d’écriture, monsieur Michel ne manque pas de nous changer les idées entre deux chapitres avec des cours d’histoire sur l’agriculture et l’angoisse transgénique, ou sur du matériel de haute technologie, mais aussi la gastronomie française, les alcools, sans oublier le décor, design et autres détail de la modernité… Brasseries bidons et « Paradores » espagnols inclus. Et de se faire mousser en citant Gogol (Les âmes mortes), ou Heidegger pour la touche de philo, et toujours la science, à travers le fonctionnement de nos hormones et molécules.
Au passage, il avoue son besoin de dominer, d’en savoir plus que les autres sur tout, afin de clouer le bec de ses concurrents éventuels.
Échangisme, gang bang, onanisme…
Mais le vrai sujet du livre est les femmes, entre souvenirs piteux et tentatives de retrouvailles ratées : curiosité malsaine vouée à l’échec (devenu impuissant, il fouille ses souvenirs, en quête d’une émotion ou d’un miracle qui ne vient pas).
Concernant ces dernières, c’est une gamme de personnalités, variées comme les shoppings du héros, mais partant de l’obsession de cet auteur pour le sexe, la bite, la chatte etc. Dont il ressasse les techniques, tarifs, liste de situations décrites avec complaisance (échangisme, gang bang, bestialité, pédophilie, onanisme, voyeurisme…)
Disgressions & impuissance
Ce livre décrit un personnage sans problèmes financiers, mais foutu : alcoolique, dépressif, sous médicaments, devenu impuissant, au bord du suicide, ayant perdu ses espoirs dans le travail (aider la planète), et dans le privé (amour, couple…), passant ses liaisons passées en revue pour n’en tirer qu’échec et dégoût…
L’Art de Houellebecq est la digression : de sujets horribles ou graves, il passe aux différents parfums de « Houmous », ou les mérites du Guignolet –Kirsch, ou la marque des meilleurs enceintes de Hi-Fi, et même sur des fusils à lunettes ou des jumelles haut de gamme (dans Moby Dick, aussi, Hermann Melville glissait des chapitres entiers sur la marine, ses coques, ses mâts, ses voiles… et même la liste détaillée des grands illustrateurs spécialisés dans les baleines et cachalots !)
Grâce à ces entractes et à cette description gourmande de tout (plats, restos, objets, détails infimes), le récit indigeste passe, pour en revenir très vite à l’entrecuisse de ses dames, leurs bouches, fentes et anus, véritable Nirvâna obsessionnel de l’auteur, qui tente de s’exorciser de cette auto-malédiction, sans jamais y parvenir !
Sérotonine de Michel Houellebecq. Éditions Flammarion. 347 pages, 22 euros.
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