Loin du Conseil Constitutionnel et des gaz lacrymo, le trio chantait “La Retraite à 60 ans”, la mort du Patriarcat et la lutte contre l’ordre bourgeois. Tout ça à La Maroquinerie et en un peu plus d’une heure.
C’est le genre de concerts où pour patienter avant le début du live, le public ne scande pas le nom du groupe en tapant gentiment des mains, mais des chants anti-flics – “ACAB” sur l’air de “Aux armes”, ou “Tout le monde déteste la police” sur l’air de “Tout le monde déteste la police”. Tout le monde n’est pas d’accord. Personne n’est foncièrement contre non plus.
Certaines sont venues directement après la 12e journée de mobilisation intersyndicale contre la réforme des retraites, les lunettes de ski qui protègent des gaz lacrymos encore portées en bandoulière. Dans le public, des pancartes disent “À mort le patriarcat capitaliste” et “Bouffons les riches”. S’y trouvent des jeunes et des moins jeunes, des quinqua altermondialistes, des punks de 2023 et des branché.e.s aux valeurs bien à gauche (à côté de moi, dans la fosse, un type ressemble à Karl Marx, c’est dire l’implication). Peu de banquiers dans la salle, puisqu’aucun ne se manifeste lorsque résonne le morceau “Paul Danse” (“Dansez les banquiers. Ce soir, dansez !!!”).
Dans la fosse, les gamines et les gamins pogotent, chantent “J’aime la bite mais pas la tienne”, célèbrent “Queen Kong” (qui n’est donc pas une référence à Despentes, mais bien au grand singe), jouent avec les ballons à l’effigie d’Emmanuel Macron balancés dans la salle. “Tant qu’ils sont pas percés, on reprend pas le concert !!!”, hurlent MC Vieillard et DJ Conant (ce sont des surnoms), qui scandent, avec une rage qui rappelle Rebeka Warrior (Sexy Sushi, Kompromat) des slogans anti-patriarcat, anti-finance, anti-grossophobes, anti-bourgeois. On déchire les carcans à coup de haches. On rit beaucoup et on crie fort. Cathartique.
Les Vulves Assassines, vous les avez peut-être découvertes, comme nous cet hiver aux Transmusicales de Rennes, où leur “punk rap de l’espace marxiste féministe” (ce sont leurs mots) avait déjà fait vaciller certains réacs. Vous les avez plus sûrement entendues pour la première fois en manif, près du cortège de la CGT et très vite ailleurs, où leur réécriture très punk de “La retraite”, que vous chantiez peut-être déjà en 1995 lors des manifs contre le Plan Juppé, circule quasi en boucle depuis trois mois (“La retraite à 60 ans, on s’est battu.e.s pour la gagner on se battra pour la garder”, à répéter beaucoup et en gueulant). Morceau évidemment joué hier en début de concert, et à la fin.
“Avoir un morceau joué en manif par les cortèges, c’était un vrai rêve ! Maintenant, on va en trouver de nouveaux”, nous disent les deux chanteuses, qui ont lancé les Vulves assassines il y a dix ans et ont défendu longtemps leur musique dans des squats de la petite ceinture parisienne (le réseau Aubervilliers / Saint-Denis) avant de pouvoir, il y a un an, s’y consacrer pleinement. Leur album Das Kapital (Karl Marx, encore), lui, date du confinement. Un album de lutte fabriqué alors que le monde ne bouge plus ? En 2023, on se rattrape.
“Avec les Vulves, on voulait surtout mettre en musique nos valeurs communistes et féministes. Revendiquer, c’est la base du projet. On n’est pas musiciennes et franchement, ça ne nous intéresse pas de le devenir. Du coup, on a appris au fur et à mesure à bidouiller de l’électro punk, d’abord dans une cave. Puis on s’est approprié ces moyens de communications et de propagande que sont les synthétiseurs et la musique MAO (musique assistée par ordinateur, NDLR)”.
Rejointes depuis par une guitariste qui a transformé le duo en trio, Les Vulves parlent de la Mano Negra lorsqu’on leur parle d’influences, rappellent les Béru aux plus anciens, offrent une vision de la féminité ultra-émancipée aux quelques ados chantants, en fin de concerts, des hymnes féministes pour pouvoir, après une journée de manif, retrouver un peu de force. “Monter sur scène pour s’amuser et revendiquer, quand tu es une meuf, c’est pas si simple, ça nous est moins pardonné”, rappellent-elles en interview. “Tu danses comme un roi / autour de toi c’est le monde qui t’appartient / tu réussis comme tu respires (…) Tu danses, petit roi de la finance”, rappellent-elles en concert. “Mais n’oublies pas que tous les rois finissent par perdre la tête”. Ça tombe bien, et elles terminent là-dessus, “en 2027, on sera présidentes de la République”. Lumières rouges luttes en guise de baisser de rideau.