#saveyourinternet
Le texte de loi final sur la nouvelle directive européenne, relative au droit d’auteur sur Internet, va être adopté ce lundi 21 janvier. Face à l’ampleur du changement qu’elle opère, les internautes donnent de la voix sur la toile dans des vidéos coup de gueule et une déferlante de tweets #saveyourinternet. YouTube, le principal concerné qui devra revoir la logique même de sa plateforme, encourage à prendre position contre cette directive dans une communication 2.0 sans précédent.
Mais qu’est-ce donc que cette directive européenne ?
Selon ses opposants, cette directive européenne vient tout simplement bafouer le fondement même d’un internet libre et créatif. Mais pour le Parlement européen, elle est l’outil nécessaire pour défendre les créateurs tout comme les contenus que nous consommons, chaque jour, sans modération sur la toile. Grâce à elle, les artistes mais aussi les journalistes et les concepteurs de logiciels (en un mot, tous ceux concernés par le droit d’auteur ou droit voisin), verraient leurs contenus mieux protégés sur le web et en conséquence leur travail rémunéré à sa juste valeur.
Pourquoi fait-elle tant parler d’elle ?
Si l’idée est bonne, son application pose bon nombre de problèmes. Prenons l’article 13 de la directive, l’un des plus contestés. Il veut faire des hébergeurs (tels YouTube, Twitch ou encore Facebook) les responsables des contenus diffusés par leurs utilisateurs, et de ce fait responsables aussi de la possible infraction au droit d’auteur. Si la première version du texte supposait un filtrage automatique des contenus, via un algorithme, le Parlement Européen est revenu sur sa décision face au risque de censure abusive. En effet, les algorithmes, aussi performants soient-ils, ne peuvent, du moins dans l’état actuel, faire la différence entre infraction au droit d’auteur et utilisation légale – comme le permet la loi pour les remix, les parodies, la critique ou encore l’utilisation pédagogique des contenus protégés.
Pourquoi l’algorithme de YouTube, le Content ID, ne suffit-il plus ?
Si le Content ID faisait jusqu’alors la police sur la plateforme – en reconnaissant les infractions, bloquant ces vidéos ou les démonétisant –, la logique, avec l’article 13, devient nettement différente. À présent, YouTube doit vérifier et valider le contenu avant même sa mise en ligne et, si une infraction au droit d’auteur passe entre les mailles du filet, ce n’est plus à l’internaute de voir la monétisation de sa vidéo passer aux mains des ayants droit mais à YouTube d’ouvrir son portefeuille pour dédommager les créateurs lésés. Par ailleurs, puisque la plateforme devient responsable juridiquement et qu’elle assumera donc chaque erreur financièrement, on peut imaginer qu’elle favorisa, logiquement, des diffuseurs de contenus fiables, tels Vevo, les groupes télévisuels et autres grosses entreprises capables de gérer, en interne, les contrats et la gestion des droits.
Si ce n’est pas un algorithme, qui va s’en charger ?
Cerise sur le gâteau pour ces plateformes attachées à leur statut privilégié de simple « hébergeur », elles devront faire tout cela à la main, vidéo après vidéo. Ainsi YouTube, le mastodonte du genre, se devra de décortiquer le contenu de l’entièreté des vidéos mises en ligne sur sa plateforme, soit 400 heures de vidéo par minute. Un sacré rythme pour une usine que l’on prive de sa machine…
Tout est plié ?
Une bataille est perdue mais la guerre vient tout juste d’éclater. Si, le 12 septembre, cette directive sur le droit d’auteur a été adoptée par le Parlement européen, elle n’a pas fini de faire parler d’elle. Cette nouvelle loi sera discutée par le Parlement et le Conseil de l’Union européenne afin de trouver un compromis sur la version finale du texte. Reste à savoir si l’issue peut être différente.
Qu’est-ce qui pourrait bien faire flancher ce géant qu’est l’Union Européenne ?
D’autres géants, ceux du web. On assiste actuellement à une véritable campagne de communication 2.0 de la part des géants tels que YouTube (comprendre aussi Google) ou Amazon via son service vidéo Twitch. YouTube a ainsi consacré une page sur son site afin de s’exprimer sur le sujet. Outre une vidéo explicative réalisée par la plateforme, cette page met aussi en avant une vingtaine de vidéos de Youtubeurs des différents pays européens s’insurgeant contre cette directive. La plateforme encourage d’ailleurs tous ses créateurs à produire des vidéos afin d’informer leurs communautés du risque qui pèse sur elles, sur les créateurs mais aussi sur les internautes.
Tout le monde étant concerné, chacun peut, et devrait selon YouTube, s’exprimer sur le sujet, par des vidéos ou l’utilisation du #SaveYourInternet. Le Joueur du Grenier, Doc Seven, Siphano, Léo Tech-maker, Mastu, Math se fait des films ou encore Cyril, c’est toute une flopée de YouTubeurs qui s’est ainsi emparée du sujet dans des vidéos aux titres alarmistes et en lettres capitales, bien entendu, tels que « l’article 13 va-t-il tuer YouTube » ou « La fin de YouTube ». Si beaucoup de ces Youtubeurs ne sont que des porte-paroles de leur payeur certains sont tout de même plus nuancés et proposent une lecture un peu plus critique du texte en discussion.
Une campagne de désinformation massive et sans précédent
4 millions de signatures sur la pétition, des dizaines de vidéos coup de gueule, du #SaveYourInternet en veux-tu en voilà : l’Union Européenne va-t-elle devoir revenir sur sa décision ?
Rien n’est moins sûr… Les institutions européennes comme les industries culturelles et médiatiques ont trop à y gagner. Parce que les ayants droit, ce sont bien sûr les artistes mais aussi les éditeurs et maisons de disques. Or qui dit profit dit lobbying, et celui des industries culturelles et médiatiques a fortement pesé en faveur de la directive.
Si les Youtubeurs ont reçu un mail, parfois même un coup de téléphone de YouTube pour leur expliquer la situation et leur demander d’en faire une vidéo, le camp adverse n’a pas tardé à réagir. Considérant ce recrutement de porte-paroles comme de la manipulation, des sociétés de perception du droit d’auteur comme la SACEM, la SCAM ou des entreprises françaises comme TF1, M6 ou Canal+ ont signé un communiqué commun dans lequel ils accusent Google et sa filiale YouTube d’une « campagne de désinformation massive et sans précédent » : « Les puissants moyens utilisés par ces entreprises pour défendre leurs seuls intérêts sont basés sur la manipulation des utilisateurs, des vidéastes influents et des jeunes ».
Mieux encore, les YouTubeurs ont reçu un autre mail, mais cette fois de la Société Civile des Auteurs Multimédia. La SCAM y dénonce la manipulation et en dévoile les véritables motifs : YouTube défend ses intérêts financiers, lesquels seraient mis à mal si la directive voyait le jour. Elle en profite aussi pour montrer tout l’intérêt que les Youtubers pourraient en tirer, tentant ainsi de les rallier à sa cause.
Un véritable combat de titans !
D’un côté, il y a les institutions européennes, les sociétés civiles de perception et les industries culturelles et médiatiques et, de l’autre, les géants du Web et les défenseurs des libertés numériques. Car, outre l’article 13, un autre article fait polémique : l’article 11, relatif au droit voisin permettant la rémunération des éditeurs d’articles de presse. Certains opposants l’ont même rebaptisé « link tax », car il modifierait profondément la logique du web. La Quadrature du Net, les Creatives Commons, les différentes communautés wikipidiennes et même les pères fondateurs d’Internet, Tim Berners-Lee et Vint Cer, dénoncent une directive liberticide. Bref, beaucoup sont plus que réticents face à cette nouvelle directive européenne censée défendre le droit d’auteur sur Internet. Ces protestations empêcheront-elles son adoption ? Si elle passe, quelles conséquences doit-on craindre ? Affaire à suivre…
Visuel (c) YouTube