La chronique de Jean Rouzaud.
Les Éditions de L’Échappée ont eu l’excellente idée d’éditer les notes et fiches de Guy Debord, célèbre chef des Situationnistes et auteur de La société du spectacle.
Machiavel, Clausewitz, Napoléon… et Debord ?
Ces notes viennent intégralement du fond Debord à la BNF. Elles portent toutes sur la guerre et la stratégie, empruntées aux cadors du genre : Machiavel, Clausewitz, Napoléon (pour les plus connus), ainsi que toutes sortes d’études de soldats, généraux et conseillers…
Avant toute chose, se rappeler que le mouvement Situationniste (années 60), à cheval entre Art et Politique, est le rejeton du Lettrisme (années 40-50), lui-même petit-fils du Surréalisme (années 20), qui fut l’enfant naturel du Dadaïsme… (des années 1910).
Le Dadaïsme était trop avant-garde et fut sabordé par les artistes, puis fut récupéré par les Surréalistes avec un certain succès. Après guerre, des Européens insatisfaits lancèrent à Paris une suite avec le Lettrisme, qui avorta par scandale et censure, et enfin les Situationnistes reprirent le flambeau en le politisant.
L’influence fut majeure sur la Beat Generation, puis ce fut le mouvement Punk (années 70) qui relança sans le savoir le Dadaïsme, par le biais d’un Situationnisme mal digéré.
Quant à Guy Debord, dont la carrière en creux fut ponctuée de trahisons, lâchages, emprunts et détournements, il fut un héros du Gauchisme et de Mai 68, pour ses théories et ses obsessions révolutionnaires.
Le drame c’est qu’il n’y avait rien à vendre, sauf des idées. Dada inventa l’Art moderne absolu et sans règles et les Surréalistes inondèrent l’Art d’images bizarres et oniriques. Puis plus rien pour Lettristes et Situationnistes.
En attendant, Guy Debord ne cessa d’étudier tous les faits historiques des prises de pouvoir, de batailles, d’actions armées, de compte-rendus de guerre !
Il y avait chez ce chef de bande l’idée obsessionnelle du soulèvement, de la révolution, des tactiques du scandale et de la provocation.
Il n’est donc pas très étonnant qu’il s’intéressa de si près aux actions passées et aux leçons à tirer de l’histoire des guerres et des batailles, sur un plan tout à fait technique et précis, et des actions qui mènent à la victoire. Une compensation à sa vie d’agitateur de l’ombre ?
Bien sûr, l’idéologue Debord s’abritait derrière la « stratégie », sauf que ces tactiques mènent toutes, sans exception à des massacres voulus, organisés et prémédités, toujours en vue de prendre un commandement, d’envahir ou de vaincre…
Celui qui a gagné ou qui domine n’a aucun besoin de stratégie ! En 1972 l’Internationale Situationniste se dissout… Elle a perdu la bataille ? Mais peut être pas la guerre ? Quelle guerre ? Pas seulement l’idéologique, mais aussi le terrain…
Dès 1973, Debord révèle ces lectures déjà utilisées dans leur tracts et journaux, et s’abrite encore derrière l’expression « Jeu de la guerre ». Drôle de jeu, mais que dire de cet homme ambigu qui avait une collection de soldats de plomb…
Stratégie (la librairie de Guy Debord ). Edition de l’échappée . 520 Pages .24 euros. (Edition des fiches de lecture de Guy Debord, dirigée par Laurence Le Bras) Livre très soigné, largement annoté, classé, avec notes de lectures et précisions utiles.
Stratégie – La librairie de Guy Debord. Dirigé par Laurence Le Bras, préface d’Emmanuel Guy. Éditions de L’Échappée. 520 Pages .24 euros. Livre très soigné, largement annoté, classé, avec notes de lectures et précisions utiles.
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