Les 21 et 22 avril avait lieu le week-end d’anniversaire de l’une des plus mythiques des soirées lesbiennes, la Wet For Me, organisée par le collectif Barbi(e)turix.
On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans. Et quand on en a quinze encore moins ! Ce week-end de festivités démesuré n’a pas fait l’impasse sur les strass et les paillettes, tout en restant fidèle à l’ADN éminemment politique de la Wet For Me. Pour célébrer ses noces de cristal avec son fidèle public, la Wet ne s’est rien refusée : deux soirées, plus de 30 artistes entre DJ sets, performances et drag shows. Et même un très gros gâteau d’anniversaire.
15 ans de lutte sur le dancefloor
Installée depuis 2011 à La Machine du Moulin Rouge, l’histoire de la « Wet » (pour les intimes), commence quelques années plus tôt, en 2006, à la Flèche d’Or. Il n’existe alors qu’une poignée de soirées queer, et encore moins de soirées organisées par des lesbiennes, pour des lesbiennes. C’est le collectif féministe et lesbien « Barbi(e)turix », rassemblé en 2004 autour d’un fanzine aux inspirations riot grrrrl (mouvement punk féministe des années 90) qui est à l’origine de cette initiative.
À l’époque, la demande d’un univers plus punk que ce qui se faisait à l’époque, notamment dans des endroits comme le célèbre « Pulp » (club lesbien fermé en 2007) se fait ressentir, et c’est ainsi que naissent les Clitorise : des soirées lesbiennes, gratuites, mêlant concerts, performances et DJ sets. Deux ans plus tard, le collectif quitte la rue de Bagnolet pour s’installer au Nouveau Casino, et la Clitorise devient la Wet For Me. Un format « moins punk et plus club », selon Rag, DJ et programmatrice de la Wet For Me, et qui pendant trois ans a construit une véritable « communauté de clubbeuses », fidèles depuis 15 ans.
Pour Camille, qui vient à la Wet depuis ses débuts : « économiquement, en tant que femmes, c’est difficile d’ouvrir des lieux pérennes comme des bars car on a moins de pouvoir d’achat et de possibilités financières. Il est d’autant plus important d’avoir des rendez-vous comme celui-ci pour se retrouver, sentir qu’on fait partie d’une communauté ».
C’est en 2011 que le public va définitivement consacrer la Wet comme un rendez-vous immanquable des nuits parisiennes queer. Peaches, icône rebelle de l’électroclash, fait venir tellement de monde, qu’une « émeute manque d’éclater devant le club » se souvient Rag avec amusement. C’est une évidence, il faut voir les choses en – encore plus – grand. La Wet prend alors ses quartiers à La Machine du Moulin Rouge, sa « maison » depuis 12 ans.
Un joyeux bordel
« Joyeux anniversaiiiiiire la Barbieturix ! ». Vendredi. 2h40 du matin. Crânes rasés, cheveux décolorés ou multicolores, paillettes sur le visage ou chaînes enroulées autour du corps, looks Matrix ou Club Kid, jeunes et moins jeunes, forment une masse dense et unie, réjouie de célébrer leur très chère Wet. Sur scène, un joyeux bordel à base de paillettes, de confettis, de bonbons lancés au public et même de parts du fameux gâteau d’anniversaire pour les plus chanceux·ses.
Dans le fumoir comme sur la piste de danse, des chants de luttes « On est là ! », « ACAB », « Nous sommes fortes, nous sommes fières, et féministes et radicales et en colère ! ») sont scandés par les clubbeur·euses comme des mantras pour se rappeler, même ici, à quel point la lutte fait partie intégrante de cette soirée. « C’est beau de se dire qu’on a perduré dans le temps, alors qu’en tant que lesbiennes, peu de gens croient en nous », souligne Rag.
Une célébration digne de ce nom
En ce premier soir, dans les deux salles de la Machine, la Centrale et la Chaufferie, des familières de la Wet depuis ses débuts comme Chloé ou Morello, côtoient la nouvelle génération, représentée par des DJ tel·les que Kali Kalité et Transterror. Tahnee, qui en est à sa sixième Wet, souligne ainsi une évolution au niveau de la programmation : « Quand j’ai commencé à venir à ces soirées, c’était très techno, et ce soir, je suis entrée dans le club sur du zouk. Ça m’a fait trop de bien de sentir une plus grande diversité au niveau musical, qui reflète aussi une évolution du public, qui est moins blanc, moins normé qu’avant ».
Entre deux sets, des performances de drag (king, queen et queer) par Jesus La Vidange, Juda La Vidange et Morphine Blaze se déroulent au son de la voix de Rebeka Warrior (Sexy Sushi, Kompromat, Mansfield T.Y.A). Une première soirée « un peu comme un anniversaire en famille, où il fait bon de se retrouver », comme le décrit Maya, venue pour la première fois à cet événement. « Samedi soir, c’était plutôt la soirée entre potes, qu’on raconte pas trop à nos parents », ajoute-t-elle en riant.
Ce soir-là, le champagne a remplacé le gâteau. Le club est plein à craquer, et la température monte alors que Louise De Ville, Mila Furie, Michelle Tshibola, Xiomara Virdó, et Natrix enchaînent numéros de striptease burlesque et de pole dance devant une foule en délire. La musique est plus rough, avec des sets magistraux de Rag, Olympe4000, Claude Emmanuelle ou Calling Marian pour n’en citer que quelques-uns. Quand vers 2h du matin débarque Aloïse Sauvage, idole pop lesbienne, dont la venue avait été gardée soigneusement secrète pendant des semaines, des cris de liesse s’élèvent dans la salle où flottent d’immenses drapeaux “Wet For Me”. Un étendard comme symbole de 15 ans d’émancipation, d’histoires d’amour, et de lutte festive.