La chronique de Jean Rouzaud
Il faut revenir sur Panaït Istrati, ce grand conteur des Balkans, de la Méditerranée et de l’errance. Auteur maudit, connu « in extremis », grâce à l’aide de Romain Rolland (mais aussi Joseph Kessel, Romain Gary…)
« Gorki des Balkans »
Rolland qui l’appelait le « Gorki des Balkans », a parlé de miracle, car Istrati aurait pu mourir cent fois avant même de commencer à écrire !
Ce routard, ouvrier itinérant, fait penser à Henri Miller, mais aussi à Jack London, ou tout autre aventurier. Dans Zorba le grec, on dirait que Nikos Kazantzakis le décrit : passionné, désordonné, dépensier, mais tellement humain et généreux, qu’on lui pardonne beaucoup.
Lire Istrati, c’est d’abord voyager, mais c’est aussi réaliser la violence, le racisme, les guerres et le machisme qui régnait au début du siècle dans l’Empire Ottoman, la Grèce, l’Égypte, la Roumanie…
Enfants battus, femmes bafouées, injustice et exploitation, misère et famine pour beaucoup, et Istrati, fou littéraire inculte mais tenace, il se passionne pour les écrivains russes (Tolstoï, Gorki, Gogol…) et les Français « naturalistes » (Zola, Maupassant, Balzac…)
Les Éditions Actes Sud sortent deux gros albums de ses aventures orientales et baroques sous le dessin de Golo (qui vit au Caire), et c’est une réussite. Le dessin de Golo, brutal, presque maladroit, mais dur, expressionniste et direct, avec des noirs francs, des nez carrés (!) colle à celui d’Istrati le gitan débraillé et exalté.
L’absence de cases de BD, les personnages parfois flottants dans l’espace, et des actions qui se chevauchent, retracent la façon échevelée de raconter de l’auteur… Les plans larges à la Hugo Pratt font rêver sur Istanbul, Le Caire, le Liban, les ports, les marchés…
L’Europe centrale montrait encore les tenues traditionnelles ou folkloriques au coin des rues : Haidoucks bottés, Musulmans en turbans Fez ou sarouel, femmes en broderies et jupons, russophones en toques et manteaux de fourrure, enfants en gandouras, Albanais en casaques…
Perdant magnifique
Et au milieu de ce monde passé (comme dans un film de Paradjanov), un rêveur malheureux, cherchant désespérément l’amour et surtout l’amitié : un compagnon pour flâner, boire un thé, fumer un narguilé, ou pour l’aider à payer une chambre, repeindre une boutique pour ne pas crever de faim…
La patience de ses amis chéris successifs (Grecs, Russes, Juifs, Égyptiens, Albanais…) va le guider et le sauver de ses démons suicidaires et emportés : un risque tout, un « perdant magnifique »…
Inculte, presque illettré, cet homme va réussir, après ses voyages et aventures rocambolesques, entre enfer et paradis, à apprendre, ordonner et écrire en Français, pour nous offrir des récits magnifiques d’humanité et de conscience.
Il mourra pauvre, seul et abandonné et 1935.
D’abord récupéré par les Communistes dans les années 20, comme travailleur exploité, « damné de la terre », puis condamné par les mêmes et traité de fasciste, car il avait dénoncé le communisme aliénant (les Fascistes le traitaient de « cosmopolite » douteux).
Istrati par Golo. Tome 1 : Le vagabond (Braila, Le Caire, Paris), 260 pages. Tome 2 : L’écrivain (Moscou, Nice, Paris ), 220 pages. Albums noir et blanc cartonné, grand format 20x 26 cm. 25 et 26 euros.
Beaucoup de ses romans aux Éditions L’échappée.
Visuels (c) Éditions Actes Sud