Maxime Vaudano, journaliste, s’interroge sur la référence à la France « d’il y a 30 ans » avancée par les hommes politiques de tous bords. Du coup, nous aussi.
L’info selon la pêche du jour. Écologie, politique, société… Dans le Today’s Special Armel Hemme interroge un acteur de l’actu, pêché dans les profondeurs des fils d’infos.
Vous avez remarqué ? Les responsables politiques français, quels qu’ils soient, déplorent ce qui a été fait dans le pays depuis trente ans. Depuis trente ans, les mêmes partis politiques « gouvernent la France » nous dit Emmanuel Macron. Et depuis trente ans, ils « ont échoué » (ça c’est Nicolas Dupont-Aignan). Car depuis trente ans, « la guimauve du politiquement correct » les « tétanise », explique Marine Le Pen.
Les politiques sont obsédés par la France d’il y a trente ans : ça valait bien un coup de fil à Maxime Vaudano, journaliste, auteur d’un article sur ce sujet dans le journal Le Monde.
Qu’est-ce qui s’est passé de si extraordinaire, il y a 30 ans ?
Maxime Vaudano : C’est vrai qu’il n’y a pas une interview politique dans laquelle on n’entend pas cette rengaine. Ça repose sur des choses qui se sont réellement passées. En gros ça correspond à une période au tournant des années 70-80, la crise qui a commencé à s’installer en France, l’arrivée du chômage de masse et pas mal de problèmes qui se sont posés alors. Mais c’est devenu un tel réflexe dans les manuels scolaires et dans les discours politiques de parler des Trente Glorieuses puis de la crise que l’on finit par tout coller dans cette période d’il y a trente ans alors que, quand on regarde les chiffres, objectivement certaines choses se sont améliorées.
Mais les Trente Glorieuses alors, cette période de croissance forte qui a duré une trentaine d’année, c’était il y a 40-45 ans maintenant ?
Maxime Vaudano : C’est vrai, et du coup on reste sur cette temporalité des 30 ans, on a retrouvé des citations de Nicolas Sarkozy vers 2007 qui disait déjà exactement la même chose. On est 12 ans plus tard et on a encore les mêmes responsables politiques qui nous disent cela. Au delà de l’anecdote, tout ça repose sur la vision d’un « âge d’or » qu’aurait vécu la France pendant ces Trente Glorieuses, et cette image est très ancrée dans la tête des français. C’est un concept né dans les années 70 et dans les manuels scolaires depuis les années 80. En réalité les historiens modernes remettent énormément en question cette vision de l’Histoire. Le fait que la France ait connu un âge d’or après la guerre n’est pas forcément si consensuel que ça.
Ce qui est sûr c’est que le monde a beaucoup changé, le début des années 80 correspond au moment où la France est vraiment rentrée dans la mondialisation. Quand la gauche et la droite nous disent « il y a 30 ans ceci, il y a 30 ans cela » est-ce qu’ils se réfèrent à la même chose ?
Maxime Vaudano : Bien entendu, ils ne voient pas du tout la même chose. Ils utilisent les mêmes expressions mais reprochent des choses très très différentes. La gauche reproche plutôt le fait que l’on ait appliqué des politiques néolibérales, qu’on ait fait des réformes au détriment des plus fragiles, des salariés, que les impôts des plus fortunés aient baissé… Quand on regarde à droite c’est le discours complètement inverse, on nous dit que la France est complètement immobile, qu’on a pas fait les réformes qu’il fallait pour se mettre au niveau de ses voisins, qu’on a augmenté les impôts sans améliorer l’efficacité de l’Etat. Ces différences montrent bien que c’est une vision de l’Histoire parcellaire et peu précise.
Pour conclure, ce qui est assez pratique c’est qu’il suffit d’évoquer cette période mythique de 30 ans pour se mettre dans le beau rôle et dire « avec moi ça se passera autrement » ?
Maxime Vaudano : Oui et ce qui est étonnant c’est que l’on retrouve ce même discours chez les gens qui sont au pouvoir aujourd’hui. Emmanuel Macron ou des ministres comme Benjamin Griveaux utilisent aussi cette réthorique pour se différencier de tous ceux qui ont gouverné avant eux, en disant que s’ils font ces réformes aujourd’hui c’est parce que droite et gauche confondues n’ont pas les fait les réformes nécessaires depuis 30 ans. Ce discours sert un peu tout le monde en fonction des différents intérêts des uns et des autres, mais il ne repose pas sur des propositions concrètes. Ça a tendance à brouiller le débat politique car en disant cela on ne dit rien, on ne se positionne pas précisément sur des options politiques.
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