Toujours interrogatif des fêlures existentielles, Cannes lâche sa part animale avec un sidérant prototype de blockbuster mutant mais à visage humain.
C’est quoi un monstre ? La question se pose souvent à Cannes, festival qui n’a jamais eu de cesse d’aller démasquer les zones sombres de l’humanité. Cette année, elle se niche dans les cellules familiales. Terrain connu pour Hirokaze Kore-Eda qui en a fait le sujet central pour ne pas dire fétiche de ses films, de Nobody knows au récent Les bonnes étoiles. Monster essaie de noyer le poisson, en s’annonçant comme une étude des mécaniques du harcèlement scolaire. Le récit gigogne s’orientant (tardivement) vers donc une énième confrontation entre enfance incomprise et adultes perdus, mais surtout une relecture polycopiée – inattendue chez Kore-Eda, maitre du détail et du soin – du Rashomon de Kurosawa, pour un film qui fait poliment ses devoirs, mais manque de personnalité.
Tiger stripes (Semaine de la critique) en a un peu plus pour introduire une adolescente malaise à la puberté mouvementée, quand les changements hormonaux la transforme peu à peu en tigre semant la panique dans son village. L’équipe de la Semaine a eu la main un peu lourde en vendant ce premier long métrage comme la rencontre entre l’étrangeté Apitchapong Weerasethakul (Oncle Bonmee) et le body-horror au féminin d’une Julia Ducourneau (Grave, Titane). L’exotisme pop de ce film malais n’est pas sans charme, l’énergie de ces jeunes interprètes non plus, mais ça reste trop sage, très limité dans ses envies de rébellion, les rayures de cette sympathique tigresse ayant vite quelque chose de délavé.
Chose qu’évite Stéphanie Di Giusto avec Rosalie (Un certain regard), autour de la relation entre un bistrotier bourru et une femme à barbe. Même moins troublant que son film précédent (La danseuse), Rosalie refuse d’aller dans le sens du poil en ne faisant pas de son monstre de foire une victime, mais une muse volontariste qui va sauver son homme de la mouise. Ou en étant très claire sur le principe d’un faux-film de monstre, vrai-film sur l’émancipation féminine. Y compris en laissant Benjamin Biolay en faire des caisses en méchant de l’histoire, patron d’usine paternalistement patriarcal…
Cet écosystème cannois reste surplombé par Le règne animal, tant le second film de Thomas Cailley se fait antispéciste à tous les étages. Le scénario – dans un futur proche où une maladie transforme les humains en animaux, un père et son fils refont connaissance – tente de greffer teen movie, cinéma fantastique surréaliste et étude de mœurs tout en essayant d’être un blockbuster français ET une fable écolo animiste, rejoint les convictions d’Aymeric Caron et l’imaginaire de Guillermo Del Toro. Cette tentative d’hybridation perd parfois quelques plumes – difficulté à arriver au 3e acte, quelques personnages laissés sur le bord de la route- mais reste un acte fou, dans sa liberté d’écriture ou de production, une mutation inespérée dont on espère qu’elle contaminera l’ambition d’un cinéma de genre français en pleine révolution, mais qui voit encore petit.