À Alger, les tribunes du foot jouent un rôle important dans le mouvement populaire contre la réélection du président Bouteflika. On est allés poser quelques questions à Mohamed Bradji, journaliste pour DZfoot.com.
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En Algérie, le foot a joué un rôle important dans le mouvement populaire qui a conduit le président Bouteflika à renoncer à briguer un 5ème mandat… Par des chants, les stades de foot ont relayé, dès les premiers jours, les appels des réseaux sociaux à se mobiliser contre la candidature de Bouteflika.
Ça valait bien un coup de fil à Mohammed Bradji, journaliste notamment pour dzfoot.com, premier site d’infos sur le football algérien.
Vous l’avez expliqué récemment dans un article, les stades sont un véritable espace visible d’expression en Algérie ?
Mohammed Bradji : Les stades algériens ont toujours été un espace d’expression de la jeunesse, notamment celle de leur mal-être. On le voit avec les chansons des supporters qui parlent d’exil, d’une réalité morose, d’un quotidien qui parfois peut les pousser à recourir à la drogue. Ça a aussi été un espace de contestation politique, dès la fin des années 70 – début des années 80. Durant les années 90 pendant la décennie noire les stades étaient malgré tout pleins et il y avait toujours cette contestation latente. Récemment, depuis environ un an et demi, des chants ont commencé à exister dans les stades contre le cinquième mandat. Ils dénonçaient le régime au pouvoir, le président, ses proches impliqués dans le business et parfois même dans le football, à l’image du président de l’USM Alger comme Ali Haddad.
C’est un moyen d’expression collective qui prend la forme de chants de supporters. Vous dites que cette phrase qu’on entend depuis quelques jours, « la conscience politique des algériens s’est réveillée », n’est pas juste ?
Mohammed Bradji : Non, car cette conscience politique a toujours existé. En fait ce qui est tombé, c’est la peur. Il faut comprendre que, notamment à Alger, il est interdit de manifester en groupe pour des raisons politiques depuis le printemps berbère qui a eu lieu en 2001. Il y a une certaine peur de parler collectivement dans la rue de cette conscience politique-là. Il suffit que vous échangiez avec votre cercle familial, que vous échangiez dehors avec les gens, dès que ça parlait de sujets politiques on évitait de les aborder, soit par dégoût profond de la classe politique soit par crainte de s’exprimer là-dessus dans l’espace public. Le seul vase clos où on pouvait le faire sans vraiment prendre de risques, c’était le stade.
Ni les clubs, ni les autorités n’ont interdit cette contestation de stades alors ?
Mohammed Bradji : Pendant toutes ces années-là, on aurait pu imaginer que les clubs feraient le maximum pour empêcher que ça se développe mais ils ont été en réalité plutôt conciliants. Les autorités ont laissé faire, prenant les stades comme des défouloirs. Ils ont laissé cette contestation monter et cet espace-là afin que les jeunes puissent exprimer leurs revendications politiques.
Comment vous le sentez, vous, ce prolongement inattendu de quatrième mandat ?
Mohammed Bradji : On est un peu dans l’expectative. Déjà la rue ne relâche pas la pression, on l’a vu encore ce matin avec les manifestations étudiantes. Ils réclament bien la fin d’un quatrième mandat, et non pas comme je l’ai vu sur une banderole assez marrant, d’un 4,75ème mandat. La contestation qui aura lieu vendredi prochain devrait être un vrai baromètre pour le régime, pour savoir comment le peuple prend sa décision et surtout comment il doit réagir à cette décision. Un autre fait intéressant c’est que ce vendredi devait se dérouler le classico algérois entre l’USM Alger et le Mouloudia d’Alger, sachant que c’est un événement qui doit rassembler près de 80 000 personnes au sein du stade 5 Juillet, qui va mobiliser des forces de l’ordre. La ligue a préféré avancer le match à jeudi, donc déjà jeudi on devrait voir un premier reflet de la réaction du peuple algérien.
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