Dès son premier album solo, le musicien abordait avec verve le racisme, les tensions qui rongent son pays, la question de l’écologique.
À l’occasion de la parution du coffret Keep On Keeping On : Curtis Mayfield Studio Albums 1970-1974, comprenant les quatre premiers albums studio remasterisés de Curtis Mayfield, Hugues Marly revient, dans Néo Géo, sur le morceau « Right On For The Darkness », issu de l’album Back to the World (1973).
En 1973, malgré des négociations de paix, l’armée des États-Unis est toujours engagée dans la guerre avec le Vietnam, et les soldats afro-américains souvent discriminés, même loin de chez eux, ont vu leurs leaders Malcom X, Martin Luther King ou Medgar Evers assassinés. De retour aux États-Unis, la pauvreté, les inégalités persistent, le Républicain Richard Nixon préside encore, mais le scandale du Watergate qui l’entoure finit de faire basculer la nation dans la défiance et la désillusion…
C’est dans ce contexte que le génial chanteur-guitariste-compositeur Curtis Mayfield sort l’album Back To The World, ce retour au monde, à une réalité hostile, ce retour à la mère-patrie, une mère indigne. Sur ce disque aux paroles sombres, la dureté du constat social et économique n’a d’égal que la douceur du chant en falsetto de l’artiste, toujours habité, toujours émouvant.
Après des années comme leader du groupe d’harmonie vocal The Impressions, Mayfield a démarré une carrière sous son nom en 1970 sur son propre label Curtom, monté avec son ancien manager Eddie Thomas.
Si The Impressions ont gravé un titre militant, « Keep On Pushing » en 1964, le Curtis Mayfield des années 70 se fait plus politique encore. Dès son premier album solo, le musicien aborde avec verve le racisme, les tensions qui rongent son pays, la question de l’écologique. C’est dans cette continuité, que s’inscrit Back To The World, et ce qui demeure le moment le plus intense de l’œuvre, l’incomparable « Right On For The Darkness ». Comment ne pas être ensorcelé dès l’intro à la guitare ? Sur ce titre où la voix de Mayfield semble plus à fleur de peau que jamais, des arrangements de cordes dramatiques s’entrelacent avec une basse souple au groove épais, et des cuivres syncopés nous touchent en plein cœur. Curtis nous parle d’avidité, de tentations, et remet en cause de manière cinglante la grandeur des États-Unis.
Plus qu’un musicien complet et talentueux, le soul-man de Chicago est un artiste en phase avec son époque, dont les talents de paroliers rivalisent de loin avec ceux d’un Stevie Wonder ou d’un Gil Scott-Heron.
Le Néo Géo du dimanche 17 mars, à réécouter.
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