Le portrait de Néo Géo, par Liz Gomis.
Dans Néo Géo, Liz Gomis fait le portrait de Fantastic Negrito.
« Survivre ! C’est juste la condition de l’homme noir en Amérique […] Les tragédies sont une opportunité de faire quelque chose de grandiose ».
Survivre, ça il sait faire. À 51 ans, l’artiste Fantastic Negrito n’en est plus à sa première vie. Huitième enfant d’une fratrie de quatorze, Xavier Amin Dphrepaulezz de son vrai nom, a toujours été le show man de la famille, comme pour essayer d’exister entre ses nombreux frangins et un père, venu de Somalie, qui régit la vie de famille selon des principes religieux très stricts.
À douze ans, Xavier Amin migre avec sa famille du Massachusetts à la côte ouest. Terminus à Oakland, la famille passe des chants religieux du salon au Funkadelic diffusé sur tous les haut-parleurs de la ville. Un choc des cultures et un appel de la rue plus fort que lui. Il fuit le foyer familial et ce père, trop vieux pour le comprendre et trop sévère pour lui laisser l’espace dont il rêve. De foyers en familles d’accueil, il finit sa route dans les rues d’Oak Town à dealer, un glock à la ceinture. Le petit Xavier s’est transformé en petite frappe qui tente de survivre dans un quartier en prise avec l’épidémie de crack.
Après le Funkadelic, deuxième choc musical, le kid de Minneapolis, Prince, s’immisce dans la vie de Xavier Amin. L’album Dirty Mind sonne comme une révélation. Le petit dealer veut devenir musicien, comme son idole. Xavier s’invente alors un nouveau personnage. Il sera un vrai-faux étudiant de la prestigieuse Université de Berkeley pour prendre des cours de piano gratos et apprendre à l’oreille. Six ans plus tard, le destin s’en mêle et Xavier fait la rencontre de l’ex-manager de Prince, à Los Angeles, où il s’est finalement installé. Il signe avec ce dernier un contrat en or d’un million de dollars chez Interscope et trois ans plus tard, en 1996, celui qu’on appelle désormais Xavier, sort son premier opus, The X Factor. Mauvais timing ! Cet album ovni se fait immédiatement absorber par la vague gangsta rap. Retour à la case départ et coup dur : Xavier frôle la mort après un terrible accident et perd l’usage de sa main droite celle avec laquelle il compose. Trois semaines de coma et un retour à la vie difficile. Interscope rompt son contrat, Xavier reprend les magouilles tout en vivotant de sa musique.
En 2007, il raccroche et se met au vert à Oakland. Six ans de pause à s’occuper de ses plants de weed et à apprécier la vie comme elle vient, jusqu’à la naissance de son fils. Et pour le bercer, il renoue avec la guitare et reprend gout à la création. Xavier Amin, nouvelle version, revient sur le devant de la scène avec un style qu’il qualifie lui-même de « Black Roots for everyone » ou un concentré de musique noire pour tous. Celui qu’on appelle désormais Fantastic Negrito remporte le Tiny Desk Contest de la radio publique NPR et sort l’année suivante, en 2017, The Last day of Oakland, qui non seulement rencontre un franc succès mais finit son année en repartant avec un Grammy Award. Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, il réitère l’exploit en raflant une seconde statuette en 2018 avec Please don’t be dead, un album mix de funk, de blues et punk paru en juin 2018 sur le label Cooking Vinyl. Sly Stone, Funkadelic, Prince, Fantastic Negrito a de qui tenir, et on lui souhaite un avenir radieux.
Le Néo Géo du dimanche 31 mars, c’est en podcast.
Visuel © Steve Granitz / © Randy Shropshire