La chronique de Jean Rouzaud.
Il serait dommage que les générations actuelles oublient ce moment déterminant qui a permis d’ouvrir les portes et les fenêtres de la vieille forteresse de la culture. C’était vers 1978. Le mouvement Punk avait frappé les esprits et réveillé les forces vives de tous ceux qui se croyaient exclus.
Une génération large (de 15 à 40 ans), gavée d’images, de sons, de photos, de films, de B.D., de magazines et d’infos, explosait et se mêlait de tout : groupes Punk-Rock, magazines, mode récup et Do It Yourself, d’où allait naitre une nouvelle culture : le Post-Punk, puis la New-Wave. Nova a par ailleurs édité, avec Actuel, un gros album New Wave de 250 pages (format 33 tours) où toutes les créations des années 80 sont réunies (+ de 1 000 images).
Dès 1976, avec le groupe Bazooka (et d’autres labels et fanzines), il était clair pour moi qu’il fallait casser les moules usés des niches culturelles précédentes.
En peinture, ce fut La Figuration Libre, lancée par le critique français Bernard Lamarche Vadel : Robert Combas, Hervé Di Rosa… Et un peloton de graphistes, dessinateurs, peintres, qui allaient envahir galeries et journaux, pour une sorte de « Bad Painting » fait de détournements, références, collages, accumulations ou dérisions des clichés artistiques.
Speedy Graphito, deuxième vague des graphistes « libres »
Les éditions In Fine (avec le centre d’Art du Var) éditent une partie des œuvres de Speedy Graphito, deuxième vague des graphistes « libres » qui s’attaquaient à toutes les esthétiques : B.D., Pop, Punk, Rock, Photo…
Avec cet album assez luxe de 100 pages couleurs, on redécouvre le travail de cet artiste prolifique, rapide (Speedy), sautant d’un genre à l’autre comme l’éclair, accumulant tous les savoirs de l’Art Moderne, puis Pop, abstrait, graffiti… Mais aussi des sculptures et des dessins raffinés.
De 1980 à 2017, de son vrai nom Olivier Rizzo, italien d’origine, Speedy Graphito le bien nommé, voltige avec talent et surfe sur tous les styles de l’Art Populaire moderne, bousculant toutes les frilosités et pesantes contractures de l’Art officiel…
L’artiste s’explique en Interview et commente chaque période de son travail : années 80, 90, 2000 puis 2010, sautant d’un continent européen à l’Amérique, pour réunir sur ses grandes toiles tout ce qui l’a frappé et qu’il malaxe dans ses grandes compositions…
Il y a d’incroyables dessins au crayon très fin de personnages de Comics recomposés avec des branches d’arbre, des ficelles et des bouts de bois, précis comme des dessins de Dürer (Albrecht) !
Cet album rétrospectif précise avec justesse, que pour cette génération d’artistes tonitruants, les portes des institutions qui s’étaient entrouvertes vers 1980 (bien obligées de reconnaître le mouvement mondial !), se sont immédiatement refermées après avoir laissé passer une petite poignée d’artistes comme représentants inévitables.
Le monde de l’Art est peureux, fermé comme un réseau mafieux où la valeur, la côte des œuvres, doit être strictement sous contrôle, afin que les escrocs qui tentent de faire des œuvres une valeur refuge pour investisseurs nantis, puissent se livrer à toutes les spéculations !
Mais un autre marché se créera, et la diversité est en train de gagner. Speedy Graphito fait partie de ces francs-tireurs.
Le musée imaginaire de Speedy Graphito. Éditions In Fine, avec le département du Var et l’Hotel départemental du Var + de 200 documents. Couleur, cartonné. 19 euros.
Et jusqu’au 2 Juin, rétrospective Speedy Graphito à l’Hotel départemental. 236, Bd Maréchal Leclerc, 83000 Toulon.
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