Durant 4 jours, le festival Fiore Verde fait la « promotion d’une scène italienne pas encore assez diffusée ». Avec le phénomène Liberato mercredi et jeudi et surtout le très phoenixien Giorgio Poi en tête d’affiche d’un vendredi très estival au Trabendo.
On n’en pouvait plus de Berlusconi. De ces articles à répétition sur la mort de l’ancien Président du Conseil des ministres (version Le Monde), de l’ancien dirigeant du Milan AC (pour L’Équipe), du Cavaliere dont le décès semblait occuper à lui seul l’ensemble du paysage médiatique italien. Il nous fallait la vision d’une autre Italie. Moderne, ouverte sur le monde, sans gomina ni sourires brites, sans clichés cent fois reproduits. Il nous fallait la première édition du Fiore Verde, le festival des cultures italiennes qui a débuté ces derniers jours au Parc de La Villette, dans le 19ᵉ à Paris.
Les Italiens chantent en italien
Tout est parti d’un morceau, écouté en boucle il y a une petite année, dans les bureaux du Trabendo. « Haute saison », un featuring de Jack Lahana et d’un certain Gordon Tracks (alias inédit de Thomas Mars, le chanteur de Phoenix) avec un artiste qui, depuis une dizaine d’années, et aux côtés d’Andréa Laszlo de Simone (merveilleux et incontournable Immensita), de Calcutta (gros succès en 2018 de son album Evergreen) ou d’autres, fait de la pop en langue italienne et sans se contenter d’onomatopées un peu caricaturales. L’anglais a perdu son monopole ; on assume la lange natale. Vive l’italien.
Cet artiste, c’est Giorgio Poi, que les plus pointus d’entre vous ont peut-être découvert en 2017, lorsque le Piémontais avait accompagné Phoenix sur la tournée d’un album qui avait justement l’Italie au cœur (Ti amo, sixième album du groupe versaillais).
Pablo El Baz, directeur artistique du Trabendo et fondateur du Fiore Verde, était à l’une de ces dates à la Gaîté Lyrique. La musique de Poi ne l’a « plus lâché depuis ». « C’est Giorgio Poi qui m’a emmené à l’entièreté de la scène que l’on peut voir pendant cinq jours sur le Parc de La Villette », dit-il. Lui qui l’a poussé à chercher ailleurs, à entrouvrir des portes, à trouver l’oasis après avoir entrevu le mirage.
Après « Haute saison », Pablo traîne sur Bandcamp, sur SoundCloud, rencontre Chiara Gallerani d’Italia Music Export, qui jouera un rôle prépondérant dans le projet. Il découvre Donato Dozzy, Emmanuelle, Lorenzo Senni, Her Skin (elles, chantent en anglais) ou Post Nebbia, chez qui la pop est psychédélique, électronique, nostalgique, regarde le soleil droit dans les yeux, puis cherche l’ombre. La décision s’impose rapidement d’elle-même. Pablo : « On a décidé de monter un festival axé musique italienne. Déjà, parce que ce type de proposition n’existe pas en France. Et ensuite, car l’angle nous paraissait suffisamment précis pour pouvoir toucher des curieux et la communauté italienne ».
Diaspora
Bien vu, Pablo. Au Fiore Verde (pour « Fleur verte »), ce vendredi, la diaspora italienne de Paris semble effectivement s’y être groupée. Une partie — la plus branchée d’entre elle — est là ce soir pour un festival qui vient « combler un manque », comme l’assure cette trentenaire croisée au Trabendo qui habite à Paris depuis 15 ans et regrette le peu d’exposition de ce côté-ci des Alpes d’une scène pourtant en pleine explosion.
Certains, déjà, avaient pu voir mercredi ou jeudi au Cabaret Sauvage (pour la première de l’artiste en France, il fallait bien deux dates), le phénomène napolitain Liberato, dont l’identité est inconnue et qui performe sur des textes chantés en italien, français, anglais, espagnol ou même en slang napolitain, posés sur des prods eurodance, EDM, trap, folk… Un ovni dont les performances ont globalement été jugées « dingues » et capable de terminer ses lives par des morceaux de musique traditionnelle napolitaine… remixée façon EDM, comme sur le sauvagement moderne « Cicerenella »( initialement, une chanson populaire datant du 18ᵉ siècle…). Le futur accapare le passé. Et s’amuse avec.
La (nuova) musica italia
Au Trabendo vendredi, avec terrasse ouverte sur un soleil qui tape toujours bien fort malgré l’horaire tardif (20h approche), c’est donc majoritairement pour Giorgio Poi que le public est venu. Du linge pendouille dans la cour du Trabendo comme dans les ruelles de Naples, les Spritz circulent comme à Venise, la Tratorria a remplacé la pizzeria de la veille au Cabaret Sauvage.
Giorgio entre en scène. Applaudissements. « Vous préférez que je parle en anglais ou en italien ? ». La réponse est courue d’avance, des drapeaux vert, blanc, rouge sortent de la fosse comme les refrains des tubes « Missili », « Estate » (entendu sur Netflix dans la série Summertime) ou « I Pomeriggi » et sa ligne de basse dévastatrice, issu de l’album Gommapiuma (2021, A Bomba Dischi).
De la pop synthétique, nostalgique, romantique, qui fait rouler les bassins, qui élargit les sourires, enlace les amoureux italiens ou italophiles dans les bras de mélodies méchamment efficaces. Une pop très drôle aussi, parfois, comme dans le tube, « La Musica Italia » — la scène devient rouge, blanche, verte —, manifeste de cette génération dorée dont Giorgio Poi et Calcutta font figures de porte-étendards et ont dépassé le lourd héritage de Lucio Battisti, de Lucio Dalla ou de Franco Battiato.
Un concert réussi comme un apéro en terrasse fin d’après-midi soleil plus tellement haut dans le Piémont (d’où Poi est originaire). Applaudissements nourris de compliments prononcés en italien. « Grazie Giorgio ! »
Le genre de concert où ça sent les lasagnes dans la fosse plutôt que la weed et où les plus motivés reviendront plus tard pour la partie du club du festival, avec les sets de Cosmo, d’Emmanuelle ou de Don Turi, compagnon de Jeanne Added sur scène et producteur d’une techno sombre qui fait danser les spectres et dégoupiller les sens (passez une nuit avec le morceau « The Night si Alive » en boucle et donnez-nous des nouvelles).
Pablo El Baz : « Fiore Verde est une porte d’entrée vers l’intégralité de cette scène italienne populaire, exigeante, accessible. Pour cette première édition, on fait jouer 15 artistes. Peut-être qu’un jour, on en fera 30. Le vivier, et je l’ai découvert à cette occasion, est vraiment grand ! ».
Pour franchir à nouveau Tunnel du Mont-Blanc, c’est ce soir au Trabendo, où le Fiore Verde se poursuit (4 000 personnes sont prévues pour les quatre jours) avec les concerts dès 19h de Lorenzo Senni et Maria Chiara Argirò et la partie Club dès minuit de Donato Dozzy, de GiGi FM et d’Alexandre Bazin. Par ici.