Un morceau qui symbolise toute la force que le gwoka peut déployer pour remplir son rôle d’espoir, une antidote au désespoir, à la misère, à la colère.
Toutes les semaines, dans Néo Géo, on vous raconte l’histoire d’un classique de la sono mondiale. C’est le Classico de Néo Géo, signé aujourd’hui par Caroline Bourgine.
En ce mois de mai, en France, des commémorations de l’abolition de l’esclavage, Caroline Bourgine nous propose le chant « Kyenbé réd » interprété par le grand chanteur guadeloupéen Guy Konket.
Guy Konket est une véritable icône, celle d’un musicien guadeloupéen à la voix unique et engagée. Un homme libre qui compte parmi les artistes essentiels de la Guadeloupe, un maître en l’art du gwoka, qui s’est éteint le 23 mai 2012, jour de commémoration de l’abolition de l’esclavage dans son archipel des Caraïbes. Par son oeuvre et son talent, il a été un classique chanté de son vivant ce qui est quand même plutôt rare. Son répertoire embrasse le destin de la Guadeloupe et de ses habitants sur 50 ans de musique. Le titre « La Gwadloup malad’ » (interdit de radio par le Ministère de l’Intérieur français pendant 15 ans) témoigne de l’engagement d’un artiste inscrit dans la vie politique et sociale de son pays. Porte-drapeau des sans-grades et des sans voix de tout un peuple au début des années 80, le groupe Akiyo dont il est aussi à l’origine rassemble encore aujourd’hui pendant le carnaval une véritable armée en marche.
« Guy Konket était une machine », parti de sa Gwadloup natale, pour conquérir le monde avec sa voix et son tambour.
Guy Konket est un artiste hors norme, qui a donné ses lettres de noblesse à une musique longtemps remisée au rang de « mizik a vié neg ». Son génie est d’avoir su conjuguer le gwoka avec des musiques venues d’Afrique ou du jazz. Toujours à l’affut de formes musicales et de rencontres nouvelles, comme celles avec le saxophoniste David Murray, le pianiste Randy Weston, ou encore Salif Keita, Doudou N’diaye Rose, Youssou N’Dour ou Mory Kanté dans la période des années glorieuses des années 70-80 et du bouillonnement de toutes les musiques à Paris. Pour reprendre les mots du tambouyé Makaia qui joua avec lui durant cette période, « Guy Konket était une machine », parti de sa Gwadloup natale, pour conquérir le monde avec sa voix et son tambour. Natif de la commune de Baie Mahault, où sa maman Man Sosso, qui vivait dans le monde de la canne, fut une grande organisatrice de soirées léwoz et de coups de tambours. C’était une Reine. Elle est décédée cinq ans après son fils, à l’âge de 99 ans en 2017.
Pour revenir à ce classico, « Kyenbé réd » a été écrit par Gilbert Coco et fut enregistré en 1985 sur un maxi 45 tours intitulé Soméyé Koupé dans un studio de Ménilmontant. Un mois de boulot et au final un remix totalement revu et corrigé en une nuit de d’excès radicaux, alcoolisée et poudrée par Guy Konket. A cette période, Maurice Cullaz, pionnier du jazz à Radio France l’invite régulièrement pour des sessions live, Jacques Martial, directeur du Mémorial Acte aujourd’hui, fonde en 1983 l’Association Rond point des cultures, et organise des concerts avec Guy Konket et le goupe KA. C’est la grande époque du Phil ‘One, club du quartier de La Défense. Le public n’était pas communautaire. Les rencontres et les improvisations y sont des plus dingos. En Guadeloupe, des groupes comme Foubap, Gwakasoné, Balata, Gwo Siwo, installent définitivement le tambour gwoka sur une scène avec des instruments modernes guitares électriques, saxophone, flutes, tout près du blues et si près du jazz.
« Kyenbé red » est devenu un grand classique du répertoire guadeloupéen. Un enregistrement, une composition de la période psychédélique de Guy Konket. En témoigne le design de la pochette de Pascal Chanier : un oeil dans un tambour ka, une conque marine. Guy Konket porte une calotte blanche d’où s’évade un flot de notes et d’étoiles. La mer, des nuages et l’orthographe des noms et des prénoms sont tous écrits en créole. Les sons de la nature, l’eau, le vent, introduisent les instruments : à la basse, Jocelyn Curier, au tambour Boula , Makaïa, au tambour Maké, Armand Acheron, à la Guitare, Gilbert Koko, au clavier Harold Abraham, aux chœurs et tambours, Marso et Patrick Poujol. Et puis, la voix du chanteur s’élève, au meilleur de sa forme et de sa vitalité bandée.
Un morceau qui symbolise toute la force que le gwoka peut déployer pour remplir son rôle d’espoir, un antidote au désespoir, à la misère, à la colère aussi. « Kyenbé red », c’est : « Tiens bon ! Surtout ne pas mollir, surtout ne pas tomber, surtout ne pas pleurer ! ». Dans la langue créole, cette expression linguistique répond à la question « Kaufé ? Que fais-tu ? », une formule qui sous entend l’histoire de l’esclavage, un code implicite qui traduit l’humain qui est enfoui mais qui est là.
Le Néo Géo du dimanche 5 mai, c’est en podcast.