Le rire est le propre de l’homme. Pas franchement celui du Festival.
Allez savoir si c’est parce que la chirurgie plastique, toujours aussi en vogue sur la Riviera, fige les zygomatiques, ou si c’est parce que côté business, le milieu du cinéma à Cannes est dès plus crispé ces temps-ci, toujours est-il que le festival n’est pas un endroit où on se marre franchement. Encore moins dans les salles. La faute peut-être plus à un public spécifique (la critique, pas des plus réputée pour sa propension à se dérider) qu’aux sélectionneurs.
Pour preuve, les retours pour le moins mitigés parus dans les gazettes ou sur les rézo-socios à propos de The dead don’t die, bien plus froids que les amusants morts-vivants du film de Jim Jarmusch.
Il faut bien avouer que Cannes a souvent eu du mal à desserrer les dents, accueillir pleinement des comédies. Historiquement, elles ne passent la barre (de rire) qu’à la condition express d’être grinçante, voir de pouffer pour ne pas désespéré de l’état du monde. À se demander si la sélection dans la compétition de 1983, du Sens de la vie, le dernier film des Monty Python, ne fut pas une (jouissive) erreur protocolaire…
Car les noeuds papillon et smoking noir de rigueur imposent absurdement de se serrer la glotte. Au point que lorsqu’une salle Lumière emplie de journalistes s’esclaffa à plusieurs reprises lors de la projection, en 2016, de Toni Erdmann, c’est entré dans les annales du festival comme un événement. Tout comme la standing ovation faite au Grand Bain, l’an dernier, film présenté en séance spéciale, donc toléré mais privé d’accès au plongeoir de la compétition.
Le rire, cette affaire sérieuse
Ces dernières années, les choses se sont un peu plus détendues à quelques encablures du Palais, dans les salles des sélections parallèles, de l’irruption du Nom des gens à la Semaine de la critique à l’inattendu virage de la Quinzaine des réalisateurs, période Edouard Waintrop, vers des comédies mainstream et populaires (de Guillaume et les garçons à table ! à Camille redouble), poussant parfois jusqu’à un curieux effet placebo -Cf, la majorité de la critique jurant qu‘En liberté, film présenté l’an dernier, prisonnier d’un naturel dépressif, est un sommet d’hilarité.
Pour marquer son arrivée en tant que nouveau délégué général à la Quinzaine, Paolo Moretti a fait le choix d’inaugurer sa première édition à ce poste avec Le daim. À défaut de se décrocher la mâchoire, certains resteront sans doute bouche bée devant le nouveau film de Quentin Dupieux. Le réalisateur de Rubber et Au Poste ! ne quitte pas son territoire de l’absurde avec l’obsession d’un paumé pour un blouson en daim, mais déserte progressivement le surréalisme pour aller vers une version personnelle de Taxi Driver. Après I feel Good, il y a de quoi applaudir Jean Dujardin dans cette seconde prestation de personnage aliéné, confirmant l’envie d’enfoncer un clou dans sa chaussure d’acteur grand public.
Mais aussi, tout en restant admiratif devant cet inattendu glissement vers le tragique, pour un film in fine poignant, de quoi se demander – on le vérifiera plus tard dans la semaine avec la présentation, en sélection officielle de La belle époque, le second film de Nicolas Bedos après le sous-estimé Mr & Mme Adelman – si ce choix pour ouvrir la Quinzaine n’entérine pas le malheureux mot d’ordre cannois vis-à-vis de la comédie : il faut savoir sérieux garder.
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