Plus présent que d’habitude, le cinéma d’animation présenté à Cannes esquisse une ligne pas très claire…
Cannes et le cinéma d’animation, c’est une drôle d’histoire. Elle remonte à loin, mais déjà avec une idée de rendez-vous bancal : en 1947, Dumbo, le classique de Disney, y décrochait le Grand Prix, six ans après la sortie américaine du film. Bien évidemment, il faut mettre ce décalage sur le compte de l’Histoire (Seconde Guerre mondiale oblige, le festival n’avait pas eu lieu pendant les années de conflit et ne reprit que cette année-là). Mais par ricochet, il reste symbolique d’un effet retard qui ne s’est jamais vraiment estompé.
Les montres ont parfois été synchronisées (un Prix spécial en 1973 pour La planète sauvage, le poème SF de Laloux & Topor ou encore celui du Jury pour Persepolis en 2007) ou à peu près. (Cannes a loupé le coche de la japanimation, laissant Miyazaki être sacré à Berlin avec Le voyage de Chihiro ou en accueillant trop tardivement Mamoru Oshii et son Innoncence : Ghost in Shell) Mais il aura fallu longtemps pour que le cinéma d’animation aie un véritable droit de cité, autre que par le barnum publicitaire de Dreamworks Animation lançant poussivement – se souvenir de la gênante présence de Jerry Seinfeld en costume d’abeille pour faire la promo de Bee Movie – ses films sur la plage du Carlton.
Les choses se sont néanmoins arrangées, du tapis rouge désormais déroulé aux productions Pixar ou Dreamworks à la présence de Ma vie de courgette à la Quinzaine des réalisateurs. On peut même parler d’une présence forte de l’animation à Cannes cette année avec trois films. Le hasard fait que ce sont trois production majoritairement françaises, mais surtout qu’elles témoignent d’une envie de faire bouger les lignes, au moins en matière de récit. Les hirondelles de Kaboul, La fameuse invasion des ours en Sicile comme J’ai perdu mon corps, poussant avec un beau volontarisme le registre vers d’autres horizons que le divertissement familial.
Dessine-moi un film.
Adaptations de romans (Yasmina Khadra, Dino Buzzati) adulés mais pas des plus simples à porter à l’écran pour les deux premiers ou suture entre le cinéma de genre et chronique de solitude urbaine pour le troisième, ces trois films-là sont ambitieux, mais tout aussi problématiques.
Très différents dans leurs univers ou propos, certains se rejoignent sur une animation formellement imprécise. À moins que les versions projetées ici ne soient pas définitives, il y a un vrai souci d’intégration des images en 3D, quasi pixellisées sur les sublimes décors dessinés par Lorenzo Mattoti pour La fameuse invasion… tandis que les mouvements particulièrement saccadés de Je cherche mon corps poussent à se demander si l’économie du film n’a pas été si fragile qu’il a fallu diviser par deux les gestes des personnages. Sur ce plan, Les hirondelles de Kaboul est graphiquement plus harmonieux, mais souffre d’un côté « film à sujet » aussi enfermant que les Burqas contre lesquelles il lutte.
La fameuse invasion… s’en tire mieux en faisant confiance à sa part de fable métaphorique sur la tentation du pouvoir. Y compris (surtout ?) via le symbolisme animalier ou cette volonté de (beau) spectacle. Les deux autres films, plus intimes, butent plus clairement sur l’écueil du naturalisme lorsque la nécessité de raconter leurs histoires par l’animation s’avère questionnable, notamment en étant bien plus incarnés par leurs parfaits castings vocaux que par leur graphisme.
Un souci bien plus prègnant pour J’ai perdu mon corps : si le film de Jérémy Clapin trouve son coeur dans la belle mélancolie d’un livreur de pizza hanté par la mort de ses parents, il est écartelé entre blues urbain et film fantastique, jusqu’à rendre des plus flous son futur positionnement de sortie qui devra choisir entre cinéma de genre et genre humain.
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