La chronique de Jean Rouzaud.
Voila qui enchanteraient tous les révolutionnaires et révoltés du monde : Léon Tolstoï, le grand écrivain russe de Guerre et paix ou Anna Karénine (1828 -1910) s’est, au cours de sa vie, dégoûté de tous les gouvernants, au point de les maudire.
Idéaliste et pédagogue, il écrit sans cesse (…) comme un père qui veut conseiller ses enfants
Pourtant, il vient d’une grande famille de propriétaires terriens et il a connu guerre et armée, mais son indignation n’a cessé d’augmenter au cours de sa vie, au point qu’il ne cesse de faire paraître des essais, afin d’aider ses contemporains, et surtout le peuple russe opprimé.
Idéaliste et pédagogue, il écrit sans cesse, pour éduquer le peuple sur l’école, la religion, le sexe, l’alcool, la guerre, la morale, l’Art, comme un père qui veut conseiller ses enfants.
Avec ce titre, Les gouvernants sont immoraux, réédité chez Grasset, c’est un pamphlet violent contre les tsars, rois, ministres, généraux et tous gouvernants, tous accusés d’être inutiles, sans aucune morale, à la fois cruels, mais surtout d’une irresponsabilité totale !
Pour nous éduquer, il intègre dans son essai De la servitude volontaire d’Étienne de La Boétie, maudissant la soumission des peuples, la passivité et la servilité des hommes, puis un large extrait du Prince de Machiavel, où le cynisme, les calculs et les trahisons des princes, doivent nous servir d’avertissement…
Tolstoï est sidéré par ce monde à l’envers ou une poignée de gens immondes : aristocrates, militaires et affairistes qui nous envoient à la mort et à la souffrance dans des guerres sans AUCUN résultat positif.
Il nous dit que même l’évangile et la religion chrétienne, au départ basées sur l’amour, le partage et la charité, ont été détournées, comme un moyen d’asservir les hommes à l’Église, puis à l’État…
Autogestion, entraide… rêve ?
Il prône le retour à la terre et les petites communautés paysannes, loin de l’État, qui s’organisent en autogestion et entraide… Son rêve ? Il n’a pas confiance non plus dans les révolutionnaires et le socialisme, car il pense qu’ils se comporteront comme les autres, en tyrans et apprentis sorciers que le pouvoir corrompra…
Il s’en prend même aux intellectuels, scientifiques, qu’il juge presque inutiles, auxquels on donne trop d’importance vu leur nombre (presque rien à l’époque en Russie) et leurs piètres résultats…
Enfin, il rassemble dans un même sac : dirigeants, fonctionnaires, militaires, marchands, savants, artistes, écrivains, prêtres, médecins…. cette organisation qu’on appelle du grand mot de « civilisation » et dont il doute de plus en plus !
Tolstoï est aussi radical que les Anarchistes ! Il est déchainé contre la civilisation organisée, pyramidale, qui ne conduit qu’à l’exploitation et l’asservissement des hommes.
Pour lui, il ne reste que la terre nourricière, qui sauve et ne déçoit pas, la seule alternative viable, durable et charitable pour les hommes, ces paysans, ces cultivateurs des origines. Seules de petites organisations collectives locales et agricoles nous sauveront !
Il nous martèle sa haine de l’autorité publique, obstacle à l’organisation des peuples. Il est l’apôtre d’un autre monde. De quoi être sidéré par sa radicalité… Qui semble encore d’actualité.
Les gouvernants sont immoraux. Léon Tolstoï. Éditions Grasset. Collection cahiers rouges. 150 pages. 9 euros 50.
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