Pendant que la critique s’embrase pour les opus des vétérans, une jeune pousse met enfin le feu au festival…
À un moment ou un autre, il allait bien falloir en venir à une des questions cruciales de cette édition du festival. Non, pas savoir si Mektoub my love : Intermezzo, le nouveau film d’Abdellatif Kechiche, va bien durer 4h – dont, selon la rumeur qui court, une séquence de cunnilingus d’une vingtaine de minutes – ou arriver ici dans un montage plus court. Ni savoir combien d’accrédités se feront refouler de l’entrée, même après avoir campé des heures dans la queue, des projections d’Once upon a time… in Hollywood, le nouvel opus de Tarantino.
La véritable grande question se pose depuis l’an dernier, avec la volonté affichée d’ouvrir la compétition à de nouveaux noms, à une nouvelle génération de cinéastes. Le festival de Cannes est forcément attendu au tournant sur ce point, interrogeant sa capacité à renouveler un cheptel, trouver les grands noms de demain pour succéder à ceux d’aujourd’hui.
À ce stade, la tendance est à l’opposé d’un monde politique où la tendance est au dégagisme. Les auteurs confirmés sont très loin d’être mis en Ehpad : Douleur et gloire et Sorry we missed you, les films de Pedro Almodovar et Ken Loach ont pris de solides places dans les divers tableaux d’étoiles de la critique, l’espagnol coiffant de peu l’anglais dans les pronostics pour la Palme. Sans doute parce que Douleur et gloire, introspection semi-autobiographique d’Almodovar, se fait moins voyant, plus pudique que d’habitude là où il a été reproché au film de Loach d’être très… KenLoachien. Avouons le, le scénario de Sorry we missed you, cahier de doléance d’une ubérisation galopante écrasant la vie de famille d’un livreur pour Amazon & cie est des plus programmatique, mais l’éternel défenseur de la classe ouvrière sait refléter avec une sidérante justesse et précision, la folle marche de l’époque avec ce bouleversant livre ou crève.
On peut être plus circonspect devant A hidden life, le film de Terence Malick. Après un cycle hasardeux de chroniques aussi existentialismes qu’expérimentales, l’américain revient à un récit plus narratif pour suivre le chemin de croix d’un fermier autrichien décidé à ne pas servir dans l’armée du IIIe Reich, mais n’a pas renoncé à faire prêcher à cette objecteur de conscience un catéchisme inquiet via la même voix-off que dans Tree of life. Grosse division dans la critique, entre les dévôts béats de Malick qui ont d’emblée canonisé cette nouvelle grande messe, et ceux plus circonspects devant l’emphase permanente de cette logorrhéenne symphonie pastorale façon mon oeucuménisme sur la commode.
Drame prodigieux d’intelligence et de sobriété
Face à ces opus solides (même s’il y a de quoi trouver le film de Malick éléphantesque dans sa volonté de tout traiter en mode Majuscule, il reste plastiquement renversant), les jeunes pousses ont jusque-là fait bonne figure, même si globalement encore un peu tâtonnant. Little Joe fignole sa mise en scène mais en oublie d’extirper son propos d’une froideur freudienne, Atlantique, beau portrait d’une jeunesse africaine actuelle qui se laisse aller à un certain péché d’orgueil dans sa mise en scène maitrisée mais voyante, Les misérables couvre par le bruit du cinéma urbain une vision sociale binaire. Un film sort pourtant clairement du lot.
Portrait d’une jeune fille en feu regarde lui aussi le monde actuel mais par le prisme d’un retour dans le temps en suivant la naissance d’une passion entre une peintre et une bourgeoise dans la France du XVIIe siècle. Les corsets portés par Adèle Haenel et Noémie Merlant – toutes deux exceptionnelles – sont bien plus ceux de contraintes sociales très actuelles étouffant la place des femmes. Dans la veine du cinéma sensuel jusqu’au torride, à la combustion lente mais incendiaire, de Jane Campion, le film de Céline Sciamma laisse infuser le combat du féminisme dans un drame prodigieux d’intelligence et de sobriété. Ce qui ne veut pas dire tiédeur, loin de là : il y a bien un feu, qui brûle ici, celui des très grands mélos, des films qui sont à la fois des plus modernes et des classiques instantanés. Ceux qu’on ne voit pas assez à Cannes.
Visuel © Lilies Films/ Hold-Up Films / Arte France Cinéma