La chronique de Jean Rouzaud.
Les années 60 (et 70) furent le théâtre de bien des révolutions dans le domaine musical, comme les années 1910 et 20 le furent dans le domaine de la peinture… Il y a des moments comme ça…
Dans les années 90 et 2000, ce fut la technologie qui bouleversa ces mêmes domaines culturels de masse.
Didier Delinotte, déjà auteur d’une dizaine d’ouvrages pointus sur le Rock, s’est lancé cette fois sur la piste de groupes oubliés, mais souvent générateurs d’ inspiration pour plus tard, d’adaptation, reprises et autres « covers ».
Grosse Pomme & British Invasion
En se limitant à New York, il s’est donné une chance d’y arriver, car cette époque a vu certaines « roots » américaines s’épuiser (Blue Grass, Folk), et d’autres grandir comme des haricots géants (Blues, Rock…)
Piquée au vif par le blues Rock anglais (que les Ricains ont surnommé « British invasion », oubliant leur propre invasion de l’Europe Après-guerre, dans le même domaine culturel (musique et image), la grande nation a ramé pour se maintenir au niveau.
La passion Folk des années 50 avait tourné au protest-song, et les groupes américains ne savaient plus trop vers quoi se tourner : le Blues revenait électrifié, la Soul augmentait sa puissance chaque année , le Rock évoluait en se métissant, la Pop de la côte ouest avait besoin de soleil et toutes sortes de tentatives flirtaient avec le Jazz, les sonorités Latines, le Hard Rock se mondialisait…
Un casse-tête pour les musiciens, auxquels les maisons de disques demandaient une case précise pour les ranger dans les bacs de disquaire… Tandis que le British Rock bastonnait, à l’avant-garde de nouveaux styles.
Quand au Rythm and Blues, il donnait à la musique noire américaine de nouvelles lettres de noblesse, avant lui aussi, d’aller envahir d’autres domaines musicaux.
L’auteur de cette évocation de certains groupes de la « grosse pomme », musiciens branchés et pointus, aux prises avec toutes ces tendances, nous raconte l’histoire de ceux qui ont survécu dans le temps, gravant quelques tubes « séminaux », par leur acharnement dans cette tempête.
The Fugs, Lovin Spoonful, Young Rascals, Vanilla Fudge, une quinzaine de destins défilent au sein de groupes plus ou moins éphémères, mais qui furent des musiciens acharnés, cherchant, au gré des modes, et des associations, à se faire une place.
On apprend beaucoup sur les mentalités, et les labels (comme Atlantic, et le superbe catalogue des frères Ertegun), mais aussi sur les luttes internes, les guerres d’ego et autres jeux d’influences, allant jusqu’aux ressemblances douteuses entre groupes et morceaux.
J’ai personnellement toujours été gêné par ces groupes américains, pâles photocopies des Beatles, Who, Kinks, Troggs etc. Ne casant un tube que lorsqu’on croyait entendre un groupe anglais, à l’époque.
Mais l’érudition de Didier Delinotte et son dandysme font passer les anecdotes parfois pitoyables et la chute sévère de combos qui n’y arrivaient plus. L’auteur connaît également des filiations extraordinaires et quelques coups de virtuoses qui ont réussi.
Le sous titre de cet essai New Yorkais le dit : « De Simon et Garfunkel au Velvet Underground ». C’est une grande ballade tendue (et parfois tordue) pour raconter ces moments intenses, même si les styles partaient dans tous les sens : le genre « freaks » des Fugs, les harmonies mielleuses de Simon et Garfunkel, mais il y a aussi l’envolée Hendrix ou la rupture Velvet.
C’est pendant ce grand écart que sont apparu des titres, des rythmes, des harmonies, des trouvailles inoubliables. Ces métissages, parfois « fabriqués », furent les piliers fondateurs d’un futur encore actif.
New York Sixties. De Simon et Garfunkel au Velvet Underground. Par Didier Delinotte. Éditions Camion Blanc. 295 pages. 20 euros (Four Seasons, Lovin Spoonful, Simon et Garfunkel, Young Rascals, Tommy James & the Shondells, Tim Hardin, Blues Project, Vanilla Fudge, Neil Diamond, Blues Magoos, Paul Butterfield Blues Band, Fugs, the Band, Jimi Hendrix Experience, Velvet Underground, Blood Sweat & Tears + Epilogue Punkoide : Holy Modal Rounders, Vagrants, Soft White Underbelly).
Visuel en Une © pochette de Psychedelic Lollipop de Blue Magoos