La chronique de Jean Rouzaud.
C’est sous le titre The world of Keith Haring, que le label anglais Soul Jazz Records sort un double CD et vinyle qui tente de reconstituer l’univers musical d’une des tribus de New York, autour de 1980.
Le Punk avait tout bouleversé, et d’autres vieilles racines étaient en train de ressortir pour donner ce qui allait être l’ implosion de la culture musicale outre-Atlantique : Jazz, Rock, Punk-rock, mais aussi le Rap (Smurf, Breakdance et dérivés), mélangé sans vergogne avec des rythmes Latinos, Discos, Electro, Dance et Funk…
Cette nouvelle marque de fabrique resterait sous les noms approximatifs de « Cold Wave » ou « No Wave », définissant la partie Electro, boîtes à rythmes et synthétiseurs déchainés, cette technologie dite « froide »…
En réalité, des « block-parties », à la multitude de lieux et clubs de la grosse pomme, c’est le NIGHTCLUBBING qui allait tout envahir !
Une frénésie de danse, de boîtes branchées, allait avoir raison des « classes sociales » et surtout des blocages raciaux ou, pour finir des choix esthétiques des différentes branches de cette génération.
New York avait déjà été le théâtre de l’avant-garde et voulait garder le titre, face à Paris ou Londres
Il y en avait pour tous les goûts, du Club 54 au CBGB, du Pyramid au Mudd Club, et curieusement, il fallait absolument que ces expressions musicales, vestimentaires et d’attitudes se passent sous la bannière de l’ART, devenu un must, depuis que le Pop, avait rencontré le Punk ! (la liste des lieux et galeries est trop longue, mais le livret du disque donne un historique détaillé de la situation sur 45 pages !)
New York avait déjà été le théâtre de l’avant-garde et voulait garder le titre, face à Paris ou Londres, grâce à sa variété et ses communautés oubliées : noirs, latinos, homos, drags et ses visiteurs fascinés d’Europe (New York était le MUST depuis le début des années 70, avec ses mythes de Warhol au Velvet, de Broadway à Canal Street, Tribeca etc.)
Un immense cocktail de genres naissait, fait de mode, de show off, de Rock, de Trash et d’« Extravaganza » (Palace à Paris, Blitz à Londres). Une manière d’illuminer la nuit aux sons les plus nouveaux, aux rythmes retrouvés de chaque tribu, une sorte d’émulation enfiévrée, des DJ comme s’il en pleuvait, avec quelques empereurs du dancefloor.
D’Afrika Bambaata à Larry Levan, de mix en mix, la dance trafiquée s’imposait, c’est ce que l’on dut appeler la « House Garage », qui était appelé à régner longtemps et loin.
Paradise Garage, havre underground
C’est là que Keith Haring et ses bandes (rappeurs, Punks, Graffitis artistes, breakdancers, stylistes, fashion victims, branchés divers…) allaient se retrouver, au « Paradise Garage », bateau amiral d’une flotte de clubs dance, fourmillante de performers improvisés.
Personne ne savait vraiment où il allait, ni ce qu’il faisait, mais les têtes avaient tourné dans une sarabande de noms (Madonna, Blondie, James Chance, Basquiat, Futura, Fab Five… Auréolés des grands ancêtres Warhol, Alan Vega, Richard Hell ou Patti Smith…)
Il y avait aussi les bandes latines à la Mink Deville et surtout Kid Creole, August Darnell et ses Coconuts, sans oublier Morris Day et Prince qui allaient réimposer un Funk électrique et speedé, présent à New York avec les Contortions de James Chance (+ les rétros-jazz de Lounge Lizards).
Une véritable marmite du diable, où tous les genres, musicaux et artistiques se chevauchaient, se mélangeaient furieusement.
Keith Haring évoluait clairement dans la faune homo des danseurs, performeurs, graffeurs, attirés par la lumière d’une nouvelle mode, neo Cabaret, mi Punk, mi décadent… parfaite pour le show.
Art, libération sexuelle, avant-garde
Klaus Nomi en était le soprano expressionniste et futuriste, sur une planète music-hall trash, préparée par des personnalités comme Joey Arias, plus tard Ru Paul et la source régulière du « Vogueing », avec le défilé de mode comme base des soirées et des nuits de danse.
En plus de cette explosion cultuelle, un autre séisme se produisait : la libération sexuelle des hippies avait rejoint quartiers et banlieues, groupes et sous-groupes, et cette fois ce fut la rencontre géante des soirées « Gay », aux pistes de danse noyées de corps en sueurs, plus ou moins dénudés, mais surtout la réunion de blancs, noirs et latinos, sous la bannière arc-en-ciel… Une tempête.
Ce double album reflète ces mélanges et passions : on y trouve du Rap dansant, old school (Smurf), du Disco Rap, du Disco symphonique, des influences Rock, Funk, Latino, Electro, et même des touches africaines ou Batucada, du Free speech et du Cabaret (John Sex), et même Yoko Ono pour le côté Arty, avec les français de Art Zoyd, et le groupe de Basquiat, « Gray »…
Un double album aux Vingt morceaux rares, dérivants, touchant à tout sous la bannière Electro, Disco, Rap, Funk, représentatifs de cette fièvre No Wave tentaculaire, sans doute le point culminant de plusieurs générations, dont la fin annoncée portait un nom savant de quatre lettres.
The World of Keith Haring. Soul Jazz Records. 20 Tracks. Existe en double CD + booklet 48 pages historique + photos rares + version vinyle (3 LP avec notes, photos et historiques). Avec : B Beat Girls, Damon Harris, Pylon, Junzon Crew, Funk Masters, John Sex, Sylvester, The Girls, Johnny Dynell & NY 88, Talking Heads, Art Zoyd, Class Action, Adiche, Golden Flamingo Orchestra, Gray, Extra T, Convertion, Yoko Ono, Fab Five Freddy…
En écho à l’exposition sur Keith Haring au Tate de Liverpool, qui vient de débuter le 15 Juin 2019.
Visueld © Soul Jazz Records