C’est dans l’ouest parisien que la French Touch est née et c’est dans l’ouest parisien qu’elle est actuellement exposée. À Versailles plus particulièrement, d’où viennent la plupart des grands acteurs de ce mouvement qui, au cœur des années 90, a placé la France sur la carte des musiques électroniques.
Thomas Bangalter dans le 16ᵉ, Guy-Manuel de Homem-Christo à Neuilly (les deux Daft Punk, pour ceux qui débarquent), Ludovic Navarre (aka St-Germain) à Saint-Germain-en-Laye (jamais de hasard)… Même Laurent Garnier, généralement considéré comme l’un des pionniers du mouvement et qui a pourtant émergé à l’Haçienda de Manchester — sous le pseudo DJ Pedro — est né plein ouest, à Boulogne-Billancourt en l’occurrence. Pour faire de la musique électronique, à l’époque où Ableton ou GarageBand n’existaient pas, les instruments, on devait tous les acheter. Les bourses devaient suivre. Et elles sont souvent plus fournies dans les Hautes-Seines ou les Yvelines qu’ailleurs.
Versailles : ville capitale
Les autres ? Ils sont pour la plupart nés à Versailles, des membres d’Air à ceux de Phoenix, d’Alex Gopher à Arnaud Rebotini, de Marc Collin (Nouvelle Vague) à Fuzati, l’unique membre de ce Klub des Loosers dont l’album Vive la vie avait fait date et dont le tube, « Né sous le signe du V », était produit par Air et narrait justement, avec cynisme et ironie, l’ennui viscéral lié à la ville de Versailles. « Dès sa naissance un versaillais sait qu’il se devra d’aller très loin, déjà pour se rendre à la capitale il est obligé de prendre le train », rappait-il en 2008.
Sauf que l’ennui associé à la culture vertigineuse liée à la ville du Roi-Soleil — et à laquelle sont aussi liés La Fontaine, Lully, Molière, Podalydès ou Gondry — impliquent également un terrain particulièrement fertile pour la naissance, l’émergence, le développement d’une créativité dont un groupe comme Air — qui fêtait les 25 ans de Moon Safari dans le Nova Club de David Blot — se rappelle encore. Pour pouvoir créer, semblerait-il, faut-il encore avoir le temps de songer à ce qui n’a pas encore été créé.
Actuellement à Versailles, à l’Espace Richaud, ce n’est pas un producteur, un DJ, un musicien qui est exposé, mais l’un des segments visuels les plus importants de la French Touch. Le travail de H5, le studio fondé par Ludovic Houplain et Antoine Bardou-Jacquet en 1994, est ainsi mis en scène jusqu’au 5 mai au sein d’une exposition commanditée par la mairie de Versailles et organisée dans le cadre du festival ElectroChic de Versailles Grand Parc (jusqu’au 17 mars 2024).
Elle revient sur trois décennies qui ont vu le duo accompagner les premiers soubresauts du mouvement, des pochettes de MagicMalik à celles d’Alex Gopher, d’Air à Cosmo Vitelli, de Vitalic à Arnaud Rebotini (avec ou sans les Black Strobe), Saycet ou encore Molécule. Étienne de Crécy, aussi et surtout, pour qui Ludovic et Antoine ont conçu les visuels des différentes compilations Super Discount, visuel devenu un cube grandeur nature dans cette exposition.
H5, qui a rapidement compris qu’il était difficile de vivre en se contentant de la création de pochettes de 33T, de 45T, de compact discs, accompagne également des marques et des institutions culturelles dans leur identité visuelle et leur communication (au tableau de chasse : Hermès, Greenpeace, Dior, Vuitton, Citroën, Lacoste, la Fondation Cartier pour l’art contemporain, le Louvre Lens, etc.)
Plusieurs étages à l’Espace Richaud. L’un voit défiler les pochettes qui ont jalonné la carrière du duo — ce sont bizarrement des visuels imprimés qui apparaissent, pas les pochettes originales, mais passons —, un autre les clips réalisés par H5 — dont celui d’« Infinity », le duo inédit entre les Daft et Julian Casablancas sorti à l’occasion de la réédition de Random Access Memories. Au sous-sol, une installation visuelle et sonore a été pensée spécialement pour le musée ; un mix de 55 morceaux, tous tirés d’albums illustrés par H5, sont mixés ensemble.
Enfin, au cœur de la coupole, on peut voir une monumentale version de l’iconique pochette de Superdiscount, qui, en 1996, jouait avec les codes de la publicité afin de rappeler que l’industrie du disque, est, elle aussi, une industrie. Une industrie au sein de laquelle les produits qui se vendent le mieux sont, souvent, ceux qui sont les mieux marquetés.
H5. Voir la French Touch. 30 ans de graphisme et de musique électronique. Du 7 mars au 5 mai 2024 à l’Espace Richaud, 78 boulevard de la Reine, 78000 Versailles. Plus d’infos sur www.versailles.fr. En partenariat avec Radio Nova.