La chronique de Jean Rouzaud.
Waltraud Lehner est une artiste autrichienne, née en 1940. Vingt ans plus tard, elle étudie l’Art à Vienne et se surnomme VALIE EXPORT, en majuscules : de son point de vue, une nécessité comme acte de rébellion contre pères et maris.
Les années 60 sont en pleine contestation : Dieu, famille, société, Art… tout est remis en question, et VALIE va être au cœur des mouvements artistiques les plus radicaux. Les actionnistes viennois dont elle se détachera, mais aussi le groupe Fluxus, héritier des Dadaïstes, anti–art, et bien d’autres nouvelles influences qui vont passer par la performance, le body art, ou les « actions »…
J’avais été frappé par sa capacité à faire des choses provocantes, voire choquantes, mais avec une fraîcheur et une fantaisie unique. Première image culte : elle apparaît en jeans, entièrement ouvert, découpé autour de son sexe (poilu à l’époque) et avec un fusil mitrailleur à la main !
Punk avant les Punks ?
Cette action/pantalon nommée Genital panik en 1969 est comme une intuition des futurs punks, mais aussi des révolutionnaires RAF (fraction armée rouge des années 1977- 78).
VALIE étant très jolie, l’effet n’en est que plus bizarre (dans cette tenue, elle allait dans les files d’attente de cinéma pour dire au gens : « voilà ce que vous allez voir, du sexe et de la violence ! »)
Un an auparavant en 1968, elle avait inventé le « cinéma du toucher » : se baladant dans les rues avec une boîte accrochée aux épaules, (un peu comme une télé en carton) elle demandait aux gens de lui toucher les seins, nus derrière une sorte d’écran (toujours l’aveu que le cinéma est voyeurisme et tentation de sexe…)
Yoko Ono faisait découper son vêtement par le public avec des ciseaux, se retrouvant dénudée. Et Orlan se faisait embrasser, pour dix francs, comme un distributeur de baisers, à la FIAC (je l’ai fait…)
VALIE EXPORT pose aussi avec un paquet de cigarettes « VALIE EXPORT » très bien fait, comme si elle était un produit de consommation, sur une image de pub.
Son physique très fin et ses cheveux en bataille en faisait une sorte de sauvage intellectuelle (un peu comme Niki de Saint Phalle en France).
Puis elle se fit tatouer un porte-jarretelles en trompe-l’œil sur une cuisse, c’était en 1970. Elle était déjà repérée dans le monde de l’Art, tendance provoc et underground.
Les autres grandes performeuses du corps étaient l’américaine Carolee Schneeman et la française Gina Pane. La première se barbouillait tout le corps dans des ambiances un peu film d’épouvante, mais elle était très belle et questionnait la sexualité. La seconde se coupait très légèrement, avec une lame de rasoir à différents endroits pour faire perler le sang sur sa peau et montrer la violence…
Artiste, performeuse, activiste, politique, féministe… joueuse
VALIE elle était plus joueuse et téméraire, elle continua avec de la vidéo, des photos, déconstruisant le réel, doublant les images, travaillant sur la perspective… Filmant jusqu’à l’intérieur de sa gorge….
Elle fit aussi une série de photos, habillée, où elle se lovait dans des rues, dans un coin, un escalier, laissant son corps prendre la forme de la ville, du lieu… Ça faisait un peu cadavre, mais aussi Buster Keaton !
VALIE EXPORT fut donc en avance, artiste, performeuse, activiste, politique, féministe, mais toujours joueuse, imaginant des scénarios, des effets pour interroger le monde moderne et ses clichés, mais aussi et surtout son hypocrisie.
VALIE EXPORT. Expanded Arts. Exposition au Pavillon populaire de Montpellier du 16 octobre 2019 au 5 janvier 2020. Catalogue de l’exposition par Alexandre Maral et Mathieu Da Vina. 120 pages illustrées sur son œuvre (24X27cm). 140 illustrations (noir et blanc et couleur).24,95 euros.
Visuel en Une © VALIE EXPORT, Genitalpanik, 1968, Sérigraphie, 3 pièces, 72 x 52 cm encadré © VALIE EXPORT – Courtesy VALIE EXPORT (détail)