Balade sincère dans le Lyon du directeur de l’Amphi de l’Opéra de Lyon.
Le directeur de l’Amphi de l’Opéra de Lyon Olivier Conan — récemment parachuté à Lyon — apporte audace et bienveillance à la programmation musicale et culturelle. Idéaliste et inflexible quant à sa direction artistique, il invite dans l’opéra des groupes de toute part du monde encore très peu connus. Il montre ici sa vision, encore innocente, de la ville.
C’est à la Croix-Rousse qu’il commence par évoquer son rapport à Lyon et balancer sur la boboïsation en passant vers la rue de l’Alma.
« J’ai passé une grande partie de ma vie à gentrifier des choses par accident. J’ai toujours été quelqu’un qui avait jamais d’argent, donc qui cherchait des loyers pas chers. C’est des gens comme moi qui au départ font monter les prix dans des quartiers dit « craignos », qui facilitent l’invasion des gens qui ont plus les moyens. C’est la catastrophe. C’est tellement difficile à éviter ses mouvements de société auxquels on participe sans s’en rendre compte, que ce soit dans l’immobilier ou dans la musique.
J’ai l’impression d’avoir un peu gentrifié la musique aussi.
Tu vas en Amérique latine, tu te passionnes pour une musique qui était une musique de « pauvres » dite de « ghetto », une musique très mal vue par les classes dirigeantes, par la « culture officielle »… J’ai fais ça plusieurs fois, surtout au Pérou, où je me suis passionné pour la chicha péruvienne, que j’ai décidé de pousser un peu. J’ai sorti des compilations, j’ai fait beaucoup de choses autour de ça pendant des années. Et en fait 15 ans après je me rends compte : merde, j’ai gentrifié le chicha.
On peut pas être content de ça, d’être un héritier de l’empire colonial français, et de se rendre compte qu’on fait les mêmes choses mais à un autre niveau avec de bonnes intentions. Et est-ce que les colonisateurs avaient de bonnes intentions ? Ils pensaient qu’ils en avaient… »
Depuis l’esplanade de la rue de l’Alma, Olivier Conan fait part de ses inquiétudes sur la France tout en restant optimiste et sans oublier que Lyon est belle.
« Donc, la colline qui prie… qui a été un de mes gros chocs quand je suis arrivé parce que j’avais trouvé une sous-location dans le vieux Lyon, et de ma fenêtre, un jour en grandes lettres lumineuses, est apparu : MERCI MARIE. Et je ne savais pas qui était cette Marie, on m’avait pas mis au courant. J’ai posé des questions et je me suis rendu compte que j’étais en terre chrétienne. J’étais un peu surpris de voir ça… Voilà. Alors depuis je suis sur la colline qui travaille.
Je regrette de pas connaitre assez Lyon en fait, en tant que métropole. J’habite dans les pentes, qui jusqu’à il y a pas si longtemps, ont eu une histoire de foisonnement culturel et alternatif, dont il reste encore pas mal de traces, mais qui vont disparaître dans les dix années qui viennent malheureusement…
La culture non institutionnalisée, non officielle, surtout si elle est un peu plus tapie, un peu plus underground, elle est complètement liée au prix de l’immobilier. Si t’as pas de local où tu peux faire ta musique ou autre choses, tu vas ailleurs, et c’est comme ça qu’on va à Villeurbanne ou à Brooklyn comme il y à 20 ans. »
En descendant la Montée de la Grande Côte, Olivier explique son rapport au quartier, parfois glissant.
« Je suis pas encore allé au musée de la Résistance. On me dit que c’est un très bon musée sur la mémoire, sur la culpabilité collective, après tout, on est à deux pas d’où Jean Moulin a disparu.
A quel point tout ce passé de résistance continue à exister dans Lyon ? Au niveau culturel si, plein de gens font des choses super intéressantes en dehors des sentiers battus. Dans les friches entre autres, où il se passent des choses très bien, et tout ce qui se passe autour du Périscope par exemple, qui pour moi est un vivier assez incroyable. C’est un Lyon un tout petit peu plus parallèle que l’officiel, mais qui est bien bien ancré. »
Bien qu’il ne connaisse pas encore très bien la ville de Lyon, le directeur de l’Amphi de l’Opéra de Lyon apprécie de se balader dans ces rues pleines d’Histoire. C’est notamment dans la rue des tables Claudiennes qu’il raconte son histoire avec Rachid Taha, juste avant qu’il nous quitte.
« L’une des premières choses que j’ai faite quand je suis arrivé à Lyon, c’était de faire un hommage à Rachid Taha. Je l’avais invité à venir chanter avec l’orchestre à L’opéra. Il était très content de le faire, ça se passait très bien, et il est mort une semaine avant qu’on le fasse.
C’est vraiment l’un de mes plus gros regrets. Pour moi c’était un pont parfait entre toutes les cultures. Il représentait ça de manière très forte. Quelqu’un qui refusait d’adhérer à une une idéologie, à une musique. Maintenant on dit que Rachid faisait du raï. C’est complètement faux, il faisait du rock. Il a inventé une nouvelle façon de jouer et penser la musique française, en chantant en arabe algérien et en arable classique, en faisant du rock français, en chantant en anglais…
La musique ça se fait pas par idéologies, ça se fait par création personnelle. Les musiciens, tous, s’inventent eux mêmes, et ça faut savoir le reconnaître, faut pas les mettre dans des idées préconçues. Pour moi il représentait ça au centième degrés. »
Pour le dernier épisode il explore Sofa Records, son disquaire préféré, rue d’Algérie dans le premier arrondissement. Mais avant ça, il est passé devant la fresque des Lyonnais et on s’est demandé s’il faudrait pas la mettre à jour.
« Avec mon label Barbes l’idée c’était de sortir des disques que personne ne sortait au départ, comme un groupe que j’avais avec ma femme qui s’appelait — qui s’appelle toujours — Las rubias del norte.
Après j’ai voulu sortir d’autres disques, de projets qui ne sortaient pas. Le tout premier ça a été Hazmat Modine qui est un groupe qui marche très bien en Allemagne maintenant, et puis surtout des compilations de musiques péruviennes, que personne d’autre ne voulait sortir, alors du coup je l’ai fait moi même, je me suis dit : allez je me lance. »