Billet de mauvaise humeur, ou comment l’art s’est fait manger par l’argent, les intellectuels et l’Etat
Art, comment en sommes-nous arrivés là ???
De la toile peinte à la main par un homme seul, emportée sous le bras par un amateur (et ce système a perduré jusqu’aux années cinquante – soixante) à une installation géante, coûtant une fortune, intransportable, inaccessible et incompréhensible ? (aujourd’hui)…
En moins d’un siècle, la mainmise de l’argent et des réseaux divers a eu raison de la liberté de création…
Dès que les médias ont compris que l’Art pouvait être un spectacle avec des stars (Dali, Picasso, Warhol…), ils se sont emparés du phénomène, à grands renforts de jet-set.
De leur côté, les grandes galeries sont devenues internationales avec des associations à l’étranger et des succursales. Et pour bien commercer, l’artiste « élu » devait fournir beaucoup d’œuvres : pour la vente, les expos un peu partout, le stock, et les prêts (ce qui a éliminé d’office les artistes lents, réflexifs, perfectionnistes…).
Puis, le spectaculaire s’en est mêlé et, inspiré des muralistes mexicains, on a exigé des peintres des formats géants (de plusieurs mètres) afin de meubler les grandes galeries « lofts blancs » et de faire grimper les prix (car les toiles sont vendues « au point », c’est à dire à la taille !!).
Beaucoup d’artistes m’ont déjà confié avoir souffert de ces exigences, qui n’ont plus rien à voir avec la création…
On délocalise des productions artistiques comme on le ferait de voitures ou des cafetières
Bien sûr, la qualité et l’exécution en ont pâti… Mais ce n’était qu’un début du parcours du combattant. Les plus malins – genre Warhol – ont alors repris l’idée des ready-made, que Marcel Duchamp avait « piqué » aux dadaïstes, avec ses porte bouteilles ou ses urinoirs, et l’alibi du pop art nous imposa les paquets de lessive Brillo, puis les boites de soupe Campbell (que Warhol avait « pris » à Jasper Johns, qui avait sorti la boite Campbell en petite sculpture de bronze) ; enfin ce fut Marylin ou Liz Taylor en série – des sérigraphies le plus souvent exécutées par des assistants… La boite de Pandore était ouverte .
L’artiste allait devoir faire grand, en série et en quantité, spectaculaire et commercial. Rien que ça.
Aujourd’hui, quand Wim Delvoye crée la machine à fabriquer des excréments, il a eu l’idée, mais des chimistes l’ont fabriquée ; quand il pense à vendre des peaux tatouées, il le fait faire en Chine sur des cochons d’élevage industriel… Les vaches ou requins de Damien Hirst sont, eux, traités à grands frais par des labos de naturalisation payés par le publicitaire Saatchi..
La boucle est presque bouclée, puisqu’on délocalise des productions artistiques comme on le ferait de celles des voitures ou des cafetières.
Parallèlement, l’exécution manuelle d’œuvres palpables gênait les systèmes de production, mais aussi l’idéologie (!), car le geste fait toujours passer de l’esprit, de l’idée… et ces plasticiens, travailleurs et inspirés, sont des emmerdeurs, des indépendants aux idées bizarres.
Mais, ainsi que le disait Beaudelaire, « le beau est toujours bizarre ».
Il fallait donc en finir avec ces « barbouilleurs » qu’on allait remplacer par les « bidouilleurs » (ce sont les termes des ateliers) ; dès les années 70, on généralisa l’art dit « conceptuel », pour liquider les arts dits « plastiques »…
Et là, on touchait le fond. En effet, toute esthétique venait aussi du cœur et du ventre, en plus de l’apprentissage du métier, alors que le concept ne vient que de la tête : un tas de briques, de branches, de téléviseurs, un fil tendu et voilà une « installation », « work in progress ». Enfin de l’art « pur esprit », souvent sans forme… juste des idées.
Cette guerre souterraine vint d’un camp intellectuel jaloux des artistes. Des stars douées et virtuoses, de Francis Picabia à Julian Schnabel, qui imposèrent en douce des « intellos de gauche » dans les institutions, et les créateurs eux mêmes, façon Buren et ses éternelles rayures ou Lavier et ses objets juste posés, etc…
En prime, ces œuvres froides comme des « constats » ne disent rien et ne gênent personne… Car évidemment la politique, c’est-à-dire l’état, avait compris la force de l’art et aussi le marché juteux, et donc avait décidé (surtout en France) de monopoliser le secteur : FRAC, DRAC, collections, multiplications des lieux d’expositions et arsenal de lois : successions, dations, sortie du territoire etc… soit 80% de ce que possède l’état, ont permis aux institutions de s’imposer en art !!!
L’art pour décorer les paquets-cadeaux. On en est là.
François Pinaut, sa collection et son musée sur l’île Seguin, a été recalé par l’état, (et est parti à Venise, au Palazzo Grassi) mais Bernard Arnault lui, a été accepté pour son futur musée, le même qui – avec sa multinationale LVMH – a « acheté » Murakami et Yayoi Kusama, deux artistes japonais enfantins et décoratifs, pour ses sacs et boutiques Vuitton, sans oublier les emballages : l’art pour décorer les paquets-cadeaux ! On en est là.
Vous avez donc suivi comment l’art plastique a été phagocyté par l’argent (mondialisé), puis par les intellectuels (politisé) et enfin par l’état, qui n’a jamais digéré ni les écarts idéologiques et « incorrects » des artistes, ni les explosions artistiques – comme par exemple le Dadaïsme, le Psychédélisme ou le Punk, arêtes restées en travers de la gorge des producteurs-marchands ou des institutions, qui n’en avaient pas le contrôle.
Pour les insurgés, il existe des nombreux sites de révolte contre ces phénomènes, comme par exemple Schtroumpf Émergent ou Stuckism… et bien d’autres mécontents ! Et il y a encore des quantités d’histoires et de détails sur cette saga.