Vous croiserez peut-être sa gigantesque fresque à Ménilmontant, ou bien son « Bboy HeadSpinna », sculpture monumentale installée sur les quais de Seine devant Fluctuart. Carlos aka Mare139, figure du graff new-yorkais, est à Paris pour célébrer les premières épreuves de breakdance aux Jeux-Olympiques.
La fresque appelle l’œil depuis l’angle de la rue des Pyrénées et de celle de Ménilmontant. Des carrés de couleurs s’enchainent sur le très long mur du Carré de Baudoin. Du rouge, du bleu, du blanc, du jaune. T-shirt noir floqué d’un symbole géométrique que l’on retrouve sur la fresque, casquette vissée sur le crâne, Mare139 est à genoux, retirant avec attention le scotch bleu qui délimite les lignes d’un tracé précis sur le mur. Il nous salue, souriant et concentré. Nous checkons celui qui, depuis ses premiers tags sur les trains new-yorkais pendant l’âge d’or du graff, avec son fameux Rocksteady Crew, est aussi devenu sculpteur et professeur, bref, une figure de la culture hip-hop. « Mare », c’est pour « Nightmare ».
L’arrivée du breakdance aux JO : un accomplissement pour une danse qui a commencé dans les rues
Que fait cette légende du graff à Paris ? « Nous célébrons l’arrivée du breakdance aux Jeux Olympiques, c’est un accomplissement phénoménal pour une danse qui a commencé dans les rues. » En cadeau : la fresque du Carré Beaudouin et une sculpture monumentale, inaugurée ce mardi 18 juin devant Flucturart, à Paris.
« Paris nous a offert le Modernisme, en retour nous lui avons offert le hip-hop ».
« C’est en quelque sorte mon cadeau en retour » sourit l’artiste, « Paris nous a offert le modernisme, en retour nous lui avons offert le hip-hop ». Mare139 a choisi les couleurs de sa fresque parce que ce sont celles « des drapeaux français et américain, et puis le jaune, couleur de la ‘soft diplomacy' ».
Il faut dire que Paris représente beaucoup pour Mare. En 1980, le photographe Henry Chalfant qui avait l’habitude de photographier le milieu du hip-hop new-yorkais, emmène le graffeur au Musée d’Art moderne de Paris. « C’était l’exposition ‘Picasso’, et c’est là que j’ai commencé à faire le lien entre l’art moderne et l’art urbain. J’ai réalisé qu’au début des années 1900, Paris avait sa propre scène underground, avec sa musique underground, ses artistes underground. » C’est là qu’il théorise l’héritage et l’impact que laissera le hip-hop aux générations futures. Il s’inspire de ce modernisme et l’injecte dans son art visuel. Carlos « Mare » Rodriguez est le pionnier d’une nouvelle forme de graffiti : il a fait évoluer son art du lettrage vers la sculpture, comme pour étendre l’écriture graffiti au-delà du mur.
Mare faisait partie de la première vague d’artistes « post-transit » qui se lanceraient dans le travail en studio en 1980, exposant à Fashion Moda et participant à la célèbre résidence d’artiste de Sam Esses qui accueillait les meilleurs peintres de métro de l’époque, tels que Zephyr, Futura, Eric Haze ou encore Noc167. Il a aussi étudié à la célèbre High School of Art and Design aux côtés d’artistes notables comme Lady Pink et Doze Green.
Parmi ses projets les plus remarquables, on pourrait citer la figure la sculpture annuelle des BET Awards (Black Entertainment Award) en 2001, dont les lauréats incluent Stevie Wonder, Prince, Beyoncé, JayZ, Kanye West, Kobe Bryant, Halle Berry, entre autres. Il s’aventure aussi dans l’industrie du cinéma en travaillant avec Robert DeNiro en tant que documentariste et assistant éditorial pour son film The Good Shepherd.
Cela fait plusieurs années que Mare139 travaille autour du breakdance. « Le break c’est le corps de la culture hip-hop, le rap serait la voix de la culture et nous, les graffeurs, nous sommes les peintres de la culture.«
« Le hip hop est toujours en vie, il se porte même mieux que jamais »
Mare s’émerveille encore des innovations de cette culture hip-hop : « quand on me demande ce qu’il reste du hip-hop, c’est tout cela. Le hip-hop est toujours en vie, je dirais même qu’il se porte mieux que jamais, insiste-t-il. C’est ‘l’empowerment’ personnel, financier, créatif, et nous voilà, la culture se mêle à quelque chose d’aussi grand que les Jeux Olympiques. » Il insiste sur la jeune génération qui reçoit un héritage : « elle fait partie du hip-hop et prend la responsabilité de le documenter, d’en parler, de l’étudier, de le promouvoir et de l’innover. » Il ajoute, les yeux pétillants : « c’est ça le succès, c’est ça qu’on espérait. C’est votre cadeau, maintenant c’est à vous de voir comment vous remixez ça pour votre époque.«
- Où voir la fresque : au 121 rue de Ménilmontant, dans le 20ᵉ arrondissement de Paris.
- Où voir la sculpture : devant Fluctuart, le centre d’art urbain, au 2 port du Gros Caillou, dans le 7ᵉ arrondissement de Paris.
- Où voir Carlos Mare139 : ce mardi 18 juin 2024, en conférence à Fluctuart pour l’inauguration de sa sculpture.