La 38ᵉ édition du Festival international Nuits d’Afrique a une fois de plus démontré son ambition de présenter de nouvelles perspectives musicales avec une programmation riche et diversifiée. Attirant près de 200 000 festivaliers du 9 au 21 juillet 2024, cet événement a fait briller les musiques africaines et afro-descendantes, ouvrant de nouveaux horizons à ces sonorités vibrantes.
Mardi 16 juillet 2024 : après un vol transatlantique de onze heures, j’ai enfin atterri à Montréal, prêt à plonger dans l’univers du Festival Nuits d’Afrique. Dès les premiers instants, j’ai ressenti l’énergie cosmopolite qui fait la renommée de l’événement de cette ville. Montréal, avec son mélange de cultures et de musiques, brille par son multiculturalisme et sa connexion profonde avec le monde, en particulier le continent africain, les Caraïbes comme Haïti. Nuits d’Afrique est le reflet parfait de cette diversité, rassemblant des artistes représentant le meilleur de la sono-mondiale !
Créé par le danseur et chorégraphe guinéen Laminé Touré, avec le soutien de Suzanne Rousseau et de quelques amis, Nuits d’Afrique s’est imposé comme un incontournable de la scène musicale montréalaise. Laminé Touré, pionnier dans l’introduction des musiques africaines au Canada, est arrivé à Montréal en 1974, à une époque où seulement 50 Africains y résidaient. Il a fondé les premiers cafés-concerts afro de la ville, puis le légendaire club « Le Balattou », où il a programmé pour la première fois des artistes tels que Youssou N’Dour, Manu Dibango et Angélique Kidjo.
Le festival a battu son plein durant 13 jours avec des performances marquantes d’artistes comme le groupe BCUC, qui pour leur première venue dans la ville, a secoué la scène TD-Radio Canada avec leur transe venue des townships de Soweto. Cette scène nous a également offert des moments de contemplation et de joie avec les mélodies envoûtantes du poète-chanteur-musicien Bombino, et l’univers habité et futuriste du groupe Bénin International Musical.
Pour le spectacle d’ouverture, Afrique en Cirque avec Kalabanté a magistralement combiné théâtre, musique, danse et arts du cirque, offrant une soirée inoubliable à l’Olympia. L’Entourloop et Queen Omega & the Royal Souls, aussi en première collaboration au Mtelus, ont enchanté le public avec leur nouvelle fusion musicale. Les concerts gratuits sur le site extérieur ont une fois de plus attiré des foules enthousiastes et révélé de belles surprises.Le temps d’une soirée, Nuits d’Afrique aurait pu s’appeler Nuits de Guinée, avec un Parterre comble en pleine effervescence, représentée par la diaspora guinéenne de Montréal venue soutenir le plus grand artiste reggae de leur pays, Takana Zion. Le chanteur a démontré toutes les facettes de son talent lors d’un concert de deux heures qui restera dans les annales du festival. Le Parterre du Quartier des spectacles, bondé, a également vibré lors du concert de clôture de la reine du Kompa, Rutshelle Guillaume, tout juste lauréate du Prix Nuits d’Afrique pour la Francophonie.
Montréal, nouvelle capitale de la sono mondiale ?
À l’instar de Paris, Londres ou New York, Montréal, avec son festival Nuits d’Afrique réparti sur 6 salles (dont le mythique Club Balattou) et 2 scènes extérieures gratuites, se hisse parmi les grandes capitales musicales. Les visages rayonnants du public montréalais, accueillant à bras ouverts des artistes locaux comme Kizaba avec son afropunk kinoise ou Joyce N’Sana, qu’on pourrait apparenter à une Janis Joplin congolaise, en sont la preuve. Sans oublier les lauréats du Syli d’Or : Less Toches et leur global cumbia, Boubé avec son desert-rock touareg et Shahrzad and Her Latin-Oriental Band, entre jazz-pop et rythmes cubains.
Une fusion des héritages et des genres musicaux d’Afrique
Le festival reflète la circulation et les itinéraires des musiques du continent africain, de la musique mandingue du grand Alpha Yaya Diallo, en passant par la rumba de Fredy Massamba, ou encore l’essence de la musique afro-colombienne, incarnée par Los Gaiteros de Ovejas, qui ont fasciné les spectateurs du Club Balattou. Sur la même scène, la voix féminine de l’Afrobeat Sia Tolno a livré une performance puissante, dans l’esprit des concerts de Fela Kuti au Shrine dans les années soixante-dix. Avec ce clin d’œil à Lagos, on se souviendra du théâtre Fairmount en ébullition sur le son funk et disco expérimental du groupe anglo-nigérian Ibibio Sound Machine, l’une des révélations du festival.
Des moments d’anthologie et des rencontres artistiques exclusives
Kira, le fils de Manu Chao, perpétue l’héritage créatif et révolutionnaire de son père. Pour son premier concert à Montréal, il a transporté Nuits d’Afrique au Nordeste brésilien avec ses rythmes explosifs. Le Balattou, bondé et en ébullition, a accueilli Kin’Gongolo Kiniata et leur soukous futuriste avec des instruments DIY fabriqués à partir d’objets recyclés.
Des instants intimes, bouillonnants et surprenants ont marqué cette édition unique de Nuits d’Afrique. Les créations innovantes ont laissé entrevoir de nouveaux genres musicaux et des voies inédites pour les musiques africaines. Sofaz a fusionné le maloya avec la musique gnawa, tandis que Lavanya et Projet Dharani ont mêlé les sonorités carnatiques de l’Inde du Sud aux rythmes ouest-africains et latins. Avec une programmation exceptionnelle, Nuits d’Afrique transcende les frontières et célèbre les rencontres entre différentes cultures et univers musicaux.
Le festival rassemble toutes les formes d’art. Les cuisines jamaïcaines, colombiennes, sénégalaises et ivoiriennes ont offert aux spectateurs un espace pour échanger sur les concerts, danser, et participer à des ateliers, workshops, conférences et débats. Le laboratoire collectif La Percée a proposé des échanges et des séminaires sur le marché des musiques du monde et la redéfinition du terme « Musiques du Monde ». Nuits d’Afrique dépasse cette étiquette globalisante pour mettre en valeur les héritages, les partages et les luttes.
“La culture se transmet par les mères”, les femmes brillent à Nuits d’Afrique
Cette année, le festival a mis à l’honneur les sonorités ancestrales et modernes de nombreux pays d’Afrique, tout en célébrant les femmes et le matrimoine africain. L’afropop féministe sénégalaise de Def Mama Def et les prestations émouvantes des mamans tchadiennes Les Aunties ont scandé l’émancipation de la femme africaine avec une musique tradi-futuriste unique.
Les mères étaient également présentes dans le public avec leurs enfants, symbolisant la diversité multiculturelle et transgénérationnelle du festival. Le Parterre du Quartier des spectacles et l’esplanade Tranquille étaient pleins de spectateurs curieux et chaleureux. Le village des Nuits d’Afrique grouillait de musiciens, de spectateurs et de professionnels, tous unis par cette diversité culturelle, tout comme le Marché Tombouctou, un véritable voyage en Afrique de l’Ouest avec plus de quarante stands.
Afrobeat, rumba, traditions mandingues, kompa, soukous, afro-house, amapiano, cette édition fut un succès par sa variété de genres musicaux. Une journée qui s’articule sur presque 10 scènes différentes, pouvant débuter avec un concert traditionnel sur la scène Loto Québec pour ensuite voir une tête d’affiche actuelle au Club Balattou ou sur la scène TD Canada, et enfin terminer la nuit avec le Club Sagacité au Théâtre Fairmount sur des musiques clubs et électroniques, en pleine vogue sur le continent africain.
Nuits d’Afrique se distingue par sa programmation qui combine héritages et futur de la sono-mondiale et lui offre de nouvelles dimensions.